révolte des femmes contre Sékou Touré, un anniversaire en voie de disparition –

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«Le 27 Août 1977 ne doit pas être oublié, encore moins ignoré par le peuple martyr de Guinée. En effet, grâce à ces braves femmes, le commerce avait repris petit à petit sur l’ensemble du territoire national. La police et la milice seront supprimées. Malheureusement, l’État guinéen sévira lourdement dès le 28 août, en remplissant le Camp Boiro de femmes et d’hommes avec son corollaire de sévices corporels et moraux, exécutions et nationalisations de biens…. Repos éternel à ces braves compatriotes !»

Ces lignes de Dr. Mariama Djélo Barry en disent long sur la place que devrait occuper la date du 27 Août sur l’échiquier historique guinéen. Le citoyen lambda a du mal à se situer dans la célébration de nos événements de portée nationale. Plus d’une date «à retenir» a du mal à s’affirmer dans le pays. Quasiment, à chaque régime sa priorité, son chouchou, ses prédilections pour les faits qui ont jalonné, jalonnent, jalonneront l’histoire de la Guinée.

Qu’on le veuille ou non ! Du 28 Septembre au 2 Octobre (1958), en pensant au 1er Novembre de la même année, au 1er Mars 1960, au 3 Avril 1984, jusqu’au 5 Septembre 2021, et que sais-je encore ! L’Exécutif s’est toujours érigé en potentat aux petits pieds pour essayer de modeler l’histoire du pays, à sa guise. Barack Obama nous a prévenus : «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes.» Blaise Compaoré lui avait donné la réplique cinglante : «Il ne saurait y avoir d’institutions fortes sans hommes forts. »

Est-il en mesure de le répéter aujourd’hui ?

Il lui a fallu un visa pour rendre une visite contestée à Damiba, le nouvel homme fort du Burkina de 2022. Pour sa part, le Pr. Ibrahima Baba Kaké, agrégé d’histoire, disparu en 1994, avait contribué à éclairer un peu plus l’histoire du 27 Août 1977. Extraits :

« Dans les années 1970, le pouvoir sanguinaire de Sékou Touré avait mis l’économie du pays complètement à genoux. La production de riz, denrée alimentaire de base des Guinéens était passée de 282 700 tonnes en 1957, veille de l’indépendance, à moins de 30 000 tonnes. Le peuple souffrait d’une faim chronique, les denrées et divers condiments étaient rationnés. Dans les hôpitaux, où on était soigné par d’anciens infirmiers promus docteurs en médecine par décret présidentiel, les malades devaient apporter de chez eux une bassine d’eau et la nourriture. Les prescriptions médicales devaient comporter le choix entre plusieurs médicaments car les pharmacies étant mal approvisionnées, on ne savait pas ce qu’elles avaient. Les médecins devaient faire ainsi car si le malade ne trouvait pas de médicaments, ils étaient accusés de créer, eux, la pénurie et ils pouvaient être taxés de saboteurs de la révolution. Et tout commença à N’Zérékoré.

Les agents de la police économique sont arrivés un matin au marché avec l’intention de faire respecter la décision d’interdiction du commerce privé. Mal leur en prend: la première marchande menacée de la saisie de son maigre étalage s’insurge contre l’autorité de ces sans parents. Elle appelle ses compagnes à la rescousse, réclamant la liberté et le bien-être plutôt que l’esclavage et la misère. Elle est entendue et réussit à mobiliser une petite foule pour la soutenir. Les miliciens, surpris par la violence de la réaction de ces femmes, doivent se replier, laissant sur le terrain deux morts et plusieurs blessés gravement atteints.

Enhardies par leur victoire, les commerçantes décidèrent alors de marcher sur les résidences du gouverneur et du ministre du Développement rural de la région. Appuyées par la population de N’Zérékoré et des localités proches, les femmes obligent le gouverneur à prendre la fuite dans la forêt voisine et le ministre à se réfugier dans l’enceinte du camp militaire de la ville. On dira plus tard que ces femmes avaient été manipulées.

Sékou Touré, décidé à rétablir l’ordre à tout prix, et qui ne songe nullement, bien entendu, à modifier sa politique économique, dépêche bientôt plusieurs unités de l’armée pour mater la rébellion ; mais l’armée refuse de faire usage de ses armes contre les femmes. Treize des militaires qui avaient refusé de tirer seront fusillés dès leur retour à Conakry, pour incitation de leurs camarades à la révolte. Entre temps, le soulèvement fait tache d’huile. Le mouvement, avec encore plus de violence, embrase Macenta, Guéckédou, Kissidougou, Beyla, jusqu’à atteindre une partie de la Haute-Guinée, notamment Kankan, deuxième ville du pays. Toujours conduit par des femmes, toujours dirigé contre la pénurie, il s’agit moins d’un mouvement politique organisé que d’une immense clameur contre la misère et la tyrannie.

… Les incidents devaient fatalement toucher Conakry. C’est au marché M’Balia qu’ils éclatent au matin du 27 août quand un membre de la police économique exige de vérifier le contenu du sac d’une ménagère. Déjà excédée de n’avoir pas trouvé au marché de quoi nourrir sa famille, la femme se jette sur le policier en ameutant tout le quartier. Les vendeuses se précipitent au secours de la ménagère et d’autres policiers viennent prêter main forte à leur collègue. Rapidement submergés par le nombre, les policiers doivent abandonner le terrain. Les femmes, alors, s’organisent en cortège, entonnant un chant improvisé contre la police économique. Elles marchent sur les postes de police, qu’elles saccagent de fond en comble, ainsi que sur le siège central de la police économique, avant de décider de se diriger vers la présidence, à quelques centaines de mètres de là.

Elles drainent maintenant dans leur sillage tout ce que la capitale compte de femmes. C’est une scène tellement ahurissante que de voir ces dix ou quinze mille manifestantes en colère dans les rues de Conakry que les militaires du camp Samory, devant lequel elles passent, ne tentent pas de les arrêter. Elles franchissent de même sans résistance les portes du palais présidentiel, pourtant gardées par les redoutables membres du Service de la sécurité présidentielle (SSP) que les Guinéens, allez savoir pourquoi, surnommaient les SS. Ces mesures ne devaient pourtant pas entamer la détermination des femmes. Dès le lendemain, à l’aube du lundi 29 août, une nouvelle marche se forme, en direction de la présidence. Au passage, les manifestantes tentent en vain de délivrer leurs compagnes arrêtées la veille, qu’elles croient internées au camp Boiro. Plus loin, à la hauteur du marché central, Condé Toya a fait barrer la grande artère qui mène à la présidence par un peloton de chars. Une épaisse ligne rouge a été tracée sur toute la largeur de la voie. Quiconque la franchira sera abattu sans sommation.

Les femmes, une fois de plus, vont manifester un courage inouï: elles passent outre à l’ultimatum et continuent leur progression vers la présidence. Elles n’iront pas loin. A 200 mètres de là, l’armée tire dans le tas. On ne saura jamais le nombre exact des victimes du 29 août. Le chiffre de soixante morts et de trois cents blessés est celui, en recoupant les témoignages, qui semble le plus proche de la réalité. La révolte, à Conakry, a été enfin matée et Sékou Touré règne toujours sur la Guinée. Mais dans quel état ? Pendant dix jours, le dictateur va rester terré, sans oser apparaître en public, sans manifester sa présence, ne serait-ce que par le canal d’un message radiodiffusé, au grand dam des observateurs étrangers. Certaines rumeurs font état de son suicide. En fait, s’il ne s’est pas suicidé, quelque chose s’est brisé en Sékou Touré.

Le fils chéri de l’Afrique, comme il aime se faire surnommer, n’est d’ailleurs pas encore certain d’en avoir terminé avec ces matrones qui lui ont infligé la plus grande humiliation de sa longue carrière politique. On l’informe qu’à l’exemple de Conakry, Kindia, troisième ville du pays, s’est à son tour soulevée contre l’autorité, ainsi que Forécariah, qui tiendra onze jours contre la force armée, et le centre minier de Fria, où les femmes se sont emparées du poste de police pour en délivrer tous les prisonniers. La révolte des femmes va se prolonger, sporadiquement, jusqu’au 7 septembre, touchant une trentaine de villes et de bourgades. Ce n’est que le 15 septembre que le gouvernement et le parti seront enfin en mesure d’organiser une première manifestation de soutien au camarade stratège à Conakry. On inaugurera d’ailleurs, à l’occasion, une manière inédite de mobiliser les masses:

On allait, raconte un témoin, réveiller les pères de famille à une heure tardive de la nuit, quartier par quartier, pour leur demander s’ils étaient pour ou contre la révolution. Ils ne risquaient pas de dire non. Mais dès qu’ils avaient répondu oui, on leur demandait de dicter séance tenante les noms de toutes les personnes dont ils avaient la charge. Une fois la liste dressée, ils recevaient l’ordre de se retrouver à tel endroit et à telle heure avec toutes les personnes figurant sur la liste qu’ils venaient de dicter, sous leur responsabilité. Voilà réalisé le premier soutien populaire post 27 août à l`égard de Sékou Touré… »

Professeur Ibrahima Baba Kaké

Avec Lelynx.net