LETTRE OUVERTE AU CNRD ET AUX «FORCES VIVES DE LA NATION» POUR UN RECADRAGE DE LA TRANSITION ( Par Aminata BARRY)

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LETTRE OUVERTE AU CNRD ET AUX «FORCES VIVES DE LA NATION» POUR UN RECADRAGE DE LA TRANSITION

 

AVANT-PROPOS

 

Cette lettre ouverte est une réaction à l’annonce du probable glissement de la durée de la Transition, par la mise en perspective de la notion de « DURÉE DE LA TRANSITION », vue du strict aspect des dispositions pertinentes de la Charte de la Transition (ci-après appelée «la Chart»).

 

L’analyse des dispositions pertinentes, démontre qu’il reste encore un élément institutionnel non formalisé à ce jour, mais que la Charte a explicitement prévu, à l’effet de la fixation de la durée de la Transition.

 

Il en résulte une béance qui engendre une impasse, dont l’effet est la non-existence d’un cadre juridique habilité par la Charte, à fixer LÉGITIMEMENT ET LÉGALEMENT, une durée de la Transition, qui sera contraignante pour tous, notamment pour le CNRD, ainsi que pour toutes les parties prenantes, à savoir, les Partis Politiques, les Forces Sociales, le CNRD et la Communauté Internationale.

 

Pour pallier le manquement identifié et remédier à l’impasse ainsi générée, des recommandations sont proposées, à raison d’une recommandation pour chacune des parties prenantes.

 

CONTEXTE ET OBLIGATIONS EU ÉGARD À LA CHARTE

 

Le coup d’État du 5 septembre 2021, a résulté en la prise du pouvoir par le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD), une junte militaire ayant à sa tête le Colonel Mamady DOUMBOUYA, après le renversement du régime de Alpha Condé lequel, s’était instauré à la faveur d’un coup d’État civil.

 

Dès lors, la Constitution a été suspendue et les Institutions dissoutes. La Guinée a ainsi basculé dans une phase dite de « Transition », devant aboutir au retour à l’ordre Constitutionnel, caractérisé par l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’exercice du pouvoir par des représentants du peuple, démocratiquement élus.

 

Pour légitimer son putsch, qui autrement serait qualifié de dictature, le CNRD se devait, à la fois d’obtenir l’assentiment du Peuple, et asseoir sa gouvernance sur un socle juridique, servant de référant constituant de l’exercice de son pouvoir pendant la Transition.

 

Le Peuple, à travers ses représentants appelés « les Forces Vives de la Nation », fut convié à une séance de concertation avec le CNRD, du 14 au 23 septembre 2021, au Palais du Peuple.

Cette rencontre a été, pour les représentants des « Forces Vives de la Nation », le lieu de l’expression de leurs propositions et recommandations sur la conduite de la Transition et ses différentes étapes de réalisation, lesquelles ont été prises en compte par le CNRD, afin de s’assurer d’une gouvernance légitime.

 

S’en est donc suivi, la rédaction de la Charte de la Transition, et son adoption, le 27 septembre 2021, dont l’esprit et la lettre sont issus des visions concertées du Peuple de Guinée (incarné par ses représentants des Forces Vives) et le CNRD.

 

Dès lors, la Charte de la Transition devient le référant juridique de la gouvernance du CNRD et son respect, une obligation. Car en effet, sur le fondement de son article 47, « le Président de la Transition, (désormais le Général Mamady DOUMBOUYA) a juré devant le peuple de Guinée de respecter et de faire respecter les dispositions de la Charte de la Transition (…) », parmi lesquelles les articles 2 et 77 portant respectivement sur le mandat de la Transition, incluant et non limité à « l’organisation des élections locales et nationales libres, démocratiques et transparentes » ainsi que sur « la durée de la transition (qui) sera fixée de commun accord entre les Forces Vives de la Nation et le Comité National du Rassemblement pour le Développement. ».

 

Autrement dit, le Président de la Transition est tenu par son Serment d’Officier, sur son Honneur, et ne peut y déroger, sans trahir, tout à la fois, sa Dignité d’Officier et le Peuple de Guinée.

Il est notamment tenu de s’assurer, que le temps alloué à la Transition, soit le résultat d’une entente entre « les Force Vives de la Nation » et le CNRD; tout délai fixé à cet effet avec des entités autres, violerait la Charte, puisque étant contraire au libellé de l’article 77 de ladite Charte.

PROBLÉMATIQUE INSTITUTIONNELLE ET CONSTITUANTE DE LA CHARTE

De ce qui précède, on constate donc, que la Charte de la Transition est le référant Constituant (jouant le rôle d’une Constitution) qui légitime l’exercice du pouvoir par le CNRD, lequel s’est investi de la souveraineté du Peuple, « en concertation avec les Forces Vives de la Nation ».

La Charte a donc été négociée avec une instance des « Forces Vives de la Nation » mais, dont le mandat, qui a couru du14 au 23 septembre 2021, n’a été assorti d’aucune durée formelle.

L’Organe « les Forces Vives de la Nation », dans sa fonction Constituante, est formellement définie et instaurée par la Charte de la Transition en ses points 3 et 4 de son préambule.

Sa composition consiste « en les représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des confessions religieuses, des coordinations régionales, des organisations de femmes et de jeunes, des guinéens de l’étranger, des centrales et fédérations syndicales, du secteur informel, des organisations patronales, des organisations et ordres socioprofessionnels, des missions diplomatiques et organisations internationales, des chambres consulaires, des organismes de presse, des sociétés minières de la République de Guinée ».

On constate donc, que « les Forces Vives de la Nation », qui est une composante déterminante du Cadre Constituant, n’aura connu qu’une seule instance, en tant qu’Organe Constituant, dont la durée lui a été dévolue par les faits, soit du 14 au 23 septembre 2021, période de négociation de la Charte avec le CNRD.

Aux termes de cette période constituante, échue par la signature de la Charte, l’instance, en tant qu’Organe Constituant, s’est dissoute, laissant place à une fonction institutionnelle dévolue à ce même Organe, tel qu’en dispose la Charte en son article 77. Cette forme institutionnelle des « Forces Vives de la Nation», reste sans existence réelle à ce jour, n’étant pas encore formellement instituée, pour occuper la place et la fonction que la Charte lui dévolue explicitement, à savoir : fixer la durée de Transition qui s’impose au CNRD.

C’est dire, que pour être conforme aux dispositions de la Charte de la Transition, obligation à laquelle est assujetti le Président de la Transition, la fixation du délai de la Transition doit être EXCLUSIVEMENT du ressort des 2 parties que sont le CNRD d’une part et, d’autre part, l’ensemble des représentants des différentes organisations faîtières, telles que définies aux points 3 et 4 du préambule de la Charte; à noter que les représentants de la Communauté Internationale ne sont qu’une composante partielle de l’Institution « les Forces Vives de la Nation».

Cependant, force est de constater qu’à ce jour, l’Institution « les Forces Vives de la Nation » n’est plus une entité représentée, et la Communauté Internationale, qui n’en est qu’une partie, ne peut s’y substituer.

Il en ressort, que la durée de la Transition, fixée par le CNRD et la Communauté Internationale, et dont il est pressenti qu’elle fera l’objet d’un glissement, convenue en l’absence de l’Institution prévue à cet effet, est en violation de la disposition pertinente de la Charte de la Transition.

Donc, il s’avère une problématique autour de «les Forces Vives de la Nation » dans l’architecture juridictionnelle de la Transition, à savoir, celle de la succession de leur double attribution, d’abord en tant qu’Organe Constituant de la Charte, puis en tant qu’Organe Institutionnel en charge de fixer la durée légale de Transition qui sera contraignante et intangible pour le CNRD.

PROPOSITION RÉSOLUTOIRE

 

La non-constitution de l’Institution dénommée « Forces Vives de la Nation » est un vide juridique, une béance dans le dispositif prévu par la Charte, laquelle s’impose à tous, à commencer par le CNRD, depuis son adoption.

Dès lors, il devient impératif que cette béance soit couverte par la reconstitution et l’institutionnalisation effective des « Forces Vives de la Nation », afin de fixer la durée précise de la Transition, avec ou sans glissement, pour être conforme aux dispositions de la Charte.

 

De plus, nous soumettons que, dans l’objectif d’inscrire la gouvernance du CNRD en conformité avec son référant législatif, lequel fonde sa légitimité, l’Organe « les Forces Vives de la Nations » soit institutionnalisé au même titre que le sont les autres Organes constitutifs du dispositif à caractère constitutionnel de la Transition, cités à l’article 36 de la Charte.

 

Ainsi, il urge de remettre en place cette Institution manquante, dont l’une des premières missions sera d’évaluer et de juger de la nécessité d’un glissement, compte tenu de l’état des lieux et, le cas échéant, de discuter du délai de glissement qui sera consenti au CNRD.

 

Cet état des lieux devra être dressé conjointement par le CNRD et les « Forces Vives de la Nation », incluant la Communauté Internationale qui, en partenaire déjà engagé, sera garante de l’Accord à conclure.

 

CONCLUSION

 

On peut constater, qu’en l’absence de l’Institution « les Forces Vives de la Nation », seule cosignataire dûment habilitée, aucune durée n’est légitime ni légale eu égard aux dispositions de la Charte.

 

Il en découle, que le non-respect de la durée annoncée, n’engage donc pas le CNRD devant la Charte, puisque les critères de sa fixation n’ont pas été respectés, aux termes de ladite Charte. De surcroît, dans ces conditions, la légitimité du CNRD est affectée pour tout le temps qui s’écoule, en l’absence de l’approbation signée de l’Institution « les Forces Vives de la Nation ».

 

Il est donc important, pour maintenir la gouvernance du CNRD dans la légitimité que lui confère la Charte, et ainsi assurer la réussite de la Transition, que toute durée associée à l’exercice du pouvoir de Transition, découle d’un accord signé avec l’Institution « les Forces Vives de la Nation ».

 

RECOMMANDATIONS AUX PARTIES PRENANTES

 

1. Au CNRD :

 

Omettre d’institutionaliser « les Forces Vives de la Nation » et par conséquent, formaliser son existence en lui reconnaissant notamment, la prérogative effective d’être partie prenante à la fixation du délai de la Transition, équivaut à faire fi de la participation du Peuple de Guinée, à travers ses représentants des « Forces Vives de la Nation » dans la fixation du délai de la Transition.

 

La béance institutionnelle place la Transition hors-cadre de la Charte de la Transition. Ne pas y remédier, après son constat et son signalement, aura pour conséquence, de rendre la gouvernance du CNRD illégitime, eu égard au Peuple de Guinée et à la Communauté Internationale, la caractérisant de dictature mais pire, cela désactivera la Charte en la rendant caduque.

 

C’est pourquoi, il est recommandé au CNRD, de formaliser l’Institution « les Forces Vives de la Nation » en restaurant son mandat, qui consiste à être l’interlocuteur de la fixation de toute durée de la Transition.

 

2. Aux représentants des « Forces Vives de la Nation »:

 

Omettre de répondre à l’appel du CNRD pour les fins de discussions relativement à un potentiel glissement de calendrier électoral, serait de laisser libre cour au CNRD, pour le pilotage de la Transition hors juridiction, dans l’illégalité, puisque tout délai qui serait éventuellement fixé sans « les Forces Vives de la Nation », le serait en violation des dispositions de la Charte.

 

Cet état de violation de la Charte est juridiquement opposable au CNRD, dès lors que l’entité « les Forces Vives de la Nation » se reconstitue dans les termes fixés par la Charte, et que le CNRD la contourne dans la fixation de la durée légale de la Transition.

 

Autrement, l’entité « les Forces Vives de la Nation » aura facilité l’instauration d’un État de non droit et, favorisé un Régime d’Exception au détriment du retour à l’Ordre Constitutionnel normal.

 

Dans ce contexte, il est recommandé aux organisations faitières, incluant les partis politiques, de jouer leur partition au sein de l’Institution « les Forces Vives de la Nation » solidairement et conjointement avec toutes les autres composantes de ladite Institution.

 

3. À la Communauté Internationale :

 

L’analyse démontre que sa substitution à l’intégralité de l’Institution « les Forces Vives de la Nation » a fait écran, en interférant dans le jeu normal des dispositions de la Charte, eu égard à la fixation de la durée de la Transition.

 

Il est bon que désormais, elle soit plus exigeante et vigilante, afin d’éviter toute impasse, voire blocage à la Guinée, tel que celui qui devient aujourd’hui perceptible.

Le tout, dans la concorde et la sérénité, pour mener à bien la Transition, dans l’intérêt de la Guinée.

 

Aminata BARRY