26 ans après la tragédie de Yaguine et Fodé : l’échec persistant face à l’immigration clandestine

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 Il y a exactement 26 ans jour pour jour, le 2 août 1999, les corps sans vie de deux adolescents guinéens étaient découverts dans le train d’atterrissage d’un avion Sabena à l’aéroport de Bruxelles. Yaguine Koita, 15 ans, et Fodé Tounkara, 14 ans, avaient trouvé la mort par hypothermie après s’être cachés clandestinement dans le compartiment de l’appareil à l’aéroport de Conakry, portés par un rêve fou : étudier en Europe pour échapper à la misère et revenir aider leurs compatriotes.

Vingt-six ans plus tard, force est de constater avec amertume et indignation que rien n’a changé. Pire encore, l’ampleur de l’immigration clandestine en Afrique de l’ouest, et particulièrement en Guinée où ce drame a eu lieu, a atteint des proportions dramatiques. Selon les derniers rapports, la Guinée occupe désormais le premier rang des immigrants en France, témoignant d’un échec retentissant des politiques publiques tant africaines qu’occidentales.

Dans leurs derniers instants, Yaguine et Fodé avaient emporté avec eux une lettre bouleversante adressée aux dirigeants européens. Un cri du cœur rédigé dans un français scolaire qui résonne encore aujourd’hui avec une actualité glaçante :

« Aidez-nous ! Ici en Afrique nous souffrons énormément. Aidez-nous. Nous avons beaucoup de problèmes et un manque de droits de l’enfant. Parmi les problèmes que nous avons : la guerre, la maladie, la nutrition,  » lis-t-on.

Ces deux enfants décrivaient déjà les maux qui continuent de ronger l’Afrique de l’ouest : le manque criant d’infrastructures éducatives de qualité, la pauvreté endémique, l’absence d’opportunités pour la jeunesse.

Dans la classe de Fodé, 107 élèves s’entassaient dans une salle comme des troupeaux. Un témoignage accablant sur l’état de l’éducation publique qui perdure aujourd’hui.

« En ce qui concerne les droits de l’enfant, en Afrique, et en Guinée en particulier, nous avons des écoles mais il y a un manque sérieux d’éducation et d’enseignement, sauf les écoles privées où on peut avoir une bonne éducation et un bon enseignement. Mais il faut beaucoup d’argent et nos parents sont pauvres« , écrivaient-ils avec une lucidité déchirante.

Aujourd’hui, en 2025, l’Afrique de l’ouest, et en particulier la Guinée où s’est déroulée cette tragédie, vit une véritable hémorragie humaine. Chaque jour, des centaines de jeunes tentent la traversée de la Méditerranée au péril de leur vie, empruntent des routes migratoires toujours plus dangereuses, ou reproduisent le geste désespéré de Yaguine et Fodé en se cachant dans des moyens de transport inadaptés.

Cette situation dramatique révèle l’échec cuisant des politiques d’urbanisation et de développement menées par les États ouest-africains, notamment la Guinée, depuis des décennies.

Vingt-six ans après cette tragédie qui avait pourtant ému le monde entier, les mêmes causes produisent les mêmes effets dramatiques.

Les capitales africaines continuent de croître de manière anarchique, sans planification urbaine cohérente, créant des mégalopoles ingérables où les services publics de base : éducation, santé, emploi demeurent défaillants. Les zones rurales, abandonnées par les investissements publics, se vident de leur jeunesse qui affluent vers des centres urbains incapables de les accueillir dignement.

« Quand j’irai en France, j’aiderai vous tous à étudier », avait l’habitude de dire Yaguine à ses camarades. Ce rêve généreux d’un adolescent de 15 ans illustre parfaitement l’aspiration légitime de millions de jeunes africains à un avenir meilleur, mais aussi l’échec de leurs dirigeants à leur offrir cet avenir sur leur propre continent.

D’ailleurs, au début des années 2000, des jeunes intellectuels guinéens avaient créé des ONG à la mémoire de Yaguine et Fodé dans l’espoir affiché d’aider la jeunesse.

Malheureusement, ces initiatives se sont révélées être de simples opérations d’escroquerie visant à soutirer de l’argent aux institutions internationales, détournant ainsi la noble mémoire de ces deux martyrs à des fins personnelles.

Un cynisme révoltant qui illustre parfaitement la déliquescence morale d’une partie de l’élite guinéenne.

Parallèlement, les politiques migratoires occidentales se sont durcies sans proposer d’alternatives viables. L’Europe forteresse multiplie les murs et les accords de réadmission, mais ferme les yeux sur les causes profondes qui poussent cette jeunesse au départ.

La lettre de Yaguine et Fodé avait été lue au Parlement européen. Elle avait inspiré des films, des pièces de théâtre, des débats sur les droits de l’enfant.

Mais au-delà de l’émotion et des bonnes intentions, qu’est-ce qui a réellement changé ?

Les programmes de coopération se multiplient sur le papier, mais leurs effets restent marginaux face à l’ampleur des défis. Les investissements étrangers se concentrent toujours sur l’extraction des ressources naturelles plutôt que sur le développement des capacités humaines et des infrastructures de base.

Cette tragédie révèle l’hypocrisie d’un système international qui pleure sur les victimes de l’immigration clandestine tout en perpétuant les mécanismes qui la nourrissent. Vingt-six ans après, les dirigeants ouest-africains, particulièrement guinéens, et occidentaux continuent de traiter les symptômes plutôt que les causes.

Cependant, un mince espoir semble poindre. Le 29 juillet dernier, soit trois jours avant cet triste anniversaire, un nouveau ministre de la jeunesse a été nommé en Guinée par le Général Mamadi Doumbouya : Mamadou Cellou Baldé, personnalité issue de l’opposition. L’opinion publique guinéenne attend désormais de pied ferme sa politique nationale d’émancipation et d’épanouissement de la jeunesse. Saura-t-il enfin rompre avec les pratiques du passé et proposer une vision réellement transformatrice pour les jeunes Guinéens ? L’histoire jugera, mais l’urgence commande l’action.

L’histoire de Yaguine et Fodé devrait nous hanter. Non pas par sentimentalisme, mais parce qu’elle incarne l’échec de toute une génération de dirigeants incapables de construire un avenir digne pour leur jeunesse.

« Si vous voyez que nous nous sacrifions et risquons nos vies c’est parce que nous souffrons trop en Afrique et nous avons besoin de vous pour lutter contre la pauvreté« , écrivaient ces deux enfants dans leur testament.

Vingt-six ans plus tard, cette souffrance perdure et s’amplifie. L’urgence n’est plus aux déclarations d’intention mais à une révolution des politiques publiques : investissement massif dans l’éducation publique, création d’emplois décents pour les jeunes, aménagement du territoire équilibré, gouvernance transparente.

Car tant que l’Afrique de l’ouest, et en premier lieu la Guinée qui a vu naître cette tragédie, ne parviendra pas à offrir un horizon d’espoir à sa jeunesse, d’autres Yaguine et d’autres Fodé continueront de périr aux portes de l’Europe, emportant avec eux leurs rêves brisés et notre humanité défaillante.

La mémoire de ces deux adolescents exige mieux qu’un simple recueillement annuel.

Elle exige une révolution des consciences et des politiques. Il est temps d’agir avant que d’autres enfants ne payent de leur vie l’incurie de leurs ddirigeants.

 

Minkailou Barry 

 

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