« Mes amis sont en Europe et moi je suis encore là » : témoignage d’un Guinéen sur la route de l’exil depuis trois ans

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Alvine espère depuis 2021 rejoindre les côtes européennes pour une vie meilleure. Ce Guinéen de 23 ans a déjà tenté plusieurs fois sa chance depuis la Tunisie. Escroqué par un passeur, il a quitté le pays pour le Maroc. Mais là encore, sa quête d’Europe a été rapidement avortée. Témoignage.

 

« En 2021, je suis arrivé à Sfax [centre-est de la Tunisie, ndlr] dans le but de rejoindre l’Europe. J’ai payé 1 500 euros à un coaxeur guinéen pour prendre la mer. Ce forfait devait me permettre de tenter la traversée de la Méditerranée trois fois, si je n’y arrivais pas du premier coup.

 

Les coaxeurs sont les intermédiaires entre les migrants et les passeurs. Ils sont généralement de la même nationalité que les exilés. À la différence des passeurs qui sont, le plus souvent, originaires du pays de transit.

 

L’homme nous a emmenés vers la côte, et nous a logés dans une maison en attendant notre départ. Je n’ai finalement pas pris la mer car ‘l’Arabe’ [le passeur, ndlr] disait que l’eau n’était pas bonne, que nous devions patienter quelques jours et l’amélioration des conditions météorologiques.

 

Je suis donc rentré chez moi. Trois jours plus tard, j’ai appris qu’il avait fait passer un autre groupe de personnes, sans me prévenir. Leur embarcation a atteint l’Italie.

 

À bord, se trouvait le coaxeur guinéen. Il m’a appelé lorsqu’il est arrivé à Lampedusa pour me dire qu’il avait donné mon argent à un autre intermédiaire ivoirien. Mais ce dernier m’a affirmé qu’il n’avait rien reçu. J’avais donc dépensé 1 500 euros pour rien et j’étais fauché !

 

« Je me suis encore fait avoir »

J’ai décidé de tenter ma chance ailleurs, en Algérie. Pendant huit mois, j’ai fait des petits boulots sur des chantiers ou dans des champs vers Alger pour financer le transport vers le Maroc.

 

 

 

 

 

 

En 2022, je suis arrivé à Oujda [première ville marocaine près de la frontière algérienne, ndlr], avec l’aide d’un passeur qui m’a demandé 250 euros. Là, un Marocain m’a mis en contact avec d’autres coaxeurs guinéens. Il m’a aussi donné du pain et de l’eau. Je n’avais pas mangé depuis mon départ d’Alger, deux jours plus tôt.

 

Les Guinéens m’ont hébergé dans une maison. Ils m’ont réclamé 250 euros pour le loyer. Mais je n’avais plus rien. Alors, j’ai appelé mon père en Guinée qui a envoyé, via Orange money, 500 euros : je pensais donner la moitié aux coaxeurs et le reste me servirait pour payer des habits, de la nourriture et le transport vers Tanger. Mais les Guinéens ont pris tout mon argent… Je me suis encore fait avoir !

 

Ma sœur, qui habite en Belgique, m’a envoyé un peu de sous et j’ai pu prendre un bus. J’ai dormi dans les bois deux jours et le troisième, j’ai tenté de passer à Ceuta.

 

Ceuta est une enclave espagnole sur le sol marocain. En attendant d’escalader les grillages qui séparent la ville marocaine de Fnideq de cette enclave, les migrants se cachent dans la forêt environnante. Les autorités marocaines démantèlent régulièrement les campements de fortune, en y faisant usage de la force.

 

 

 

Alvine, de retour dans la forêt près de Ceuta, après d’avoir d’escalader les grillages pour entrer dans l’enclave espagnole. Crédit : DR

Alvine, de retour dans la forêt près de Ceuta, après d’avoir d’escalader les grillages pour entrer dans l’enclave espagnole. Crédit : DR

 

 

Mais les forces marocaines nous ont vus, nous ont attrapés et nous ont refoulés vers Beni Mellal.

 

Lorsque les migrants sont interceptés par les autorités marocaines, celles-ci les expulsent dans des villes loin des côtes, le plus souvent à quelques kilomètres de Beni Mellal (centre du Maroc), au milieu de nulle part. Les exilés, dont des femmes et des enfants, doivent ensuite revenir par leurs propres moyens.

 

Un ami m’a donné de l’argent pour remonter vers Rabat. Pendant ce temps, ma famille au pays a conclu un marché avec un coaxeur guinéen établi à Laayoune [au Sahara occidental, ndlr]. Ils lui ont déposé 1 000 euros sur son compte, et il ont aussi donné 1 900 euros à sa famille en Guinée.

 

« Je n’ai pas vu la mer une seule fois »

Grâce à ce nouvel accord, je suis allé Agadir en bus. Mais après, pour descendre à Laayoune, il faut payer des ‘taxis mafias’. Ce sont des chauffeurs subsahariens qui font payer le transport vers le sud, car les bus qui font la liaison vers ces villes n’acceptent pas les sans-papiers. Le ‘taxi mafia’ prend 500 dirhams [46 euros, ndlr] alors que le ticket de bus coute 100 dirhams [9 euros, ndlr].

 

Laayoune est connue pour être un lieu de départs des embarcations vers l’archipel espagnol des Canaries. Pour empêcher les migrants d’atteindre leur but, les autorités marocaines ont donné des directives aux chauffeurs de bus afin de leur interdire de monter à bord. Plus aucun ticket en direction de ces villes n’est vendu aux Subsahariens.

 

Le coaxeur à Laayoune m’a mis dans une maison. Il y avait au moins 40 autres migrants à l’intérieur. On restait enfermés, de peur d’être arrêtés par la police. On devait être discret car à cette époque, les autorités interpellaient les Noirs partout dans la ville, dans les maisons ou au travail.

 

 

 

Pendant cinq mois, je suis sorti une vingtaine de fois, la nuit, pour le lancement [la tentative de traversée, ndlr] mais je n’ai pas vu la mer une seule fois ! Les passeurs nous disaient toujours que les conditions n’étaient pas réunies et on rentrait à la maison.

 

À l’été 2023, les policiers marocains ont fait sortir tous les ‘Blacks’ de Laayoune. Ils sont venus nous interpeller dans nos maisons et nous ont refoulés vers Ouarzazate. De nouveau, je me suis retrouvé dans le désert, sans rien.

 

 

 

 

 

 

J’ai rejoint Agadir en bus et j’ai pris un ‘taxi mafia vers Tantan [ville située à 300 km de Laayoune, devenue aussi un lieu de départs des canots vers l’Espagne, ndlr], sur conseil de mon coaxeur. C’est lui qui a payé le trajet.

 

À Tantan, c’était mieux qu’à Laayoune. Là-bas, on pouvait sortir la journée, pour se promener ou acheter à manger. Nous ne craignions pas les autorités, il n’y avait pas de refoulements. Mais là encore, pas de traversées.

 

« Les passeurs nous ont abandonnés sur la plage »

Un soir, on a tenté la traversée depuis Guelmim [à 120 km de Tantan, ndlr] mais l’eau était agitée. Cette fois, c’est moi qui n’ai pas voulu aller dans le canot, j’avais trop peur. C’était trop dangereux. Des amis sont montés dedans. Dès la première vague, l’embarcation est revenue sur la plage.

 

On a donc renoncé à prendre la mer. Mais les passeurs étaient déjà repartis, ils nous avaient abandonnés là. On a marché deux jours pour rejoindre Tantan. Heureusement, sur la route, des Marocains nous ont donné de l’eau et du pain.

 

Puis, j’ai quitté Tantan à la fin de l’année dernière car les autorités marocaines prévoyaient de nouvelles rafles. Je suis remonté vers Rabat.

 

Je suis toujours ici et j’espère à nouveau entrer à Ceuta. J’ai déjà essayé deux fois de franchir les barbelés mais la police m’a arrêté et m’a envoyé dans le désert.

 

Cette vie est fatigante, je suis sur la route depuis plus de trois ans ! Ma famille me dit de rentrer au pays, mon papa s’inquiète beaucoup. Mais, je n’ai pas enduré tout ça pour rien. Et puis, il n’y a rien à faire en Guinée.

 

J’ai croisé beaucoup de personnes sur ma route qui sont aujourd’hui en Europe… Et moi, je suis encore là.

 

Des amis en Guinée veulent venir ici, mais je les dissuade. C’est important de leur dire la vérité. Nous on sait ce qu’il se passe, on ne veut pas qu’ils souffrent comme nous. »

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