Accueil ENVIRONNEMENT Alerte Rouge Forêts Libériennes : Le cacao ivoirien provoque une déforestation « colossale »,...
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Alors que l’Union européenne envisage de nouveaux reports de son règlement anti-déforestation, une nouvelle enquête menée au Liberia révèle comment l’explosion des plantations de cacao est en train de provoquer une déforestation galopante et de favoriser le travail des enfants.
L’ONG ivoirienne Initiatives pour le Développement Communautaire et l’Association de Conservation des Forêts (IDEF) fait état d’une déforestation « colossale » des forêts primaires du Liberia et révèle de possibles cas de trafic et d’exploitation d’êtres humains, y compris probablement des mineurs, pour la production de cacao. Cette situation est alimentée par des producteurs originaires de Côte d’Ivoire.
Cette déforestation, largement illégale au regard de la législation libérienne, contrevient également au Règlement de l’Union européenne sur la déforestation (RUED), qui est techniquement entré en vigueur en 2023. Cependant, deux ans plus tard, la loi n’est toujours pas appliquée — et la Commission européenne vient de proposer de nouveau de reporter son application.
« Pendant que l’Europe tergiverse et continue de repousser la mise en œuvre de sa loi, il n’y aura plus de forêts au Liberia, et il sera trop tard », a déclaré Bakary Traoré, Directeur exécutif de l’IDEF.
Une déforestation galopante
Après des décennies de pratiques agricoles non durables en Côte d’Ivoire, caractérisées par une déforestation massive et l’utilisation incontrôlée de pesticides et d’engrais chimiques, les sols sont devenus si épuisés qu’il est de plus en plus difficile d’y établir de nouvelles plantations de cacao.
Cette situation pousse de nombreux producteurs à se tourner vers le Liberia voisin, qui possède encore d’immenses réserves de forêt primaire (40 % des forêts primaires d’Afrique de l’Ouest, selon la FAO).
Depuis 2000, selon Global Forest Watch, le Liberia a perdu 23 % de son couvert végétal à cause de la plantation de cacao. Rien qu’en 2022, le pays a enregistré une perte de 150 000 hectares, soit l’équivalent de 210 000 terrains de football.
Le nouveau rapport de l’IDEF montre que la situation ne fait qu’empirer, en particulier dans les régions frontalières avec la Côte d’Ivoire où l’enquête a été menée (région de Grand Gedeh).
« Les autorités libériennes de la région de Grand Gedeh, où nous avons collecté les données, ont enregistré 38 000 nouveaux arrivants dans la cacaoculture dans le sud-est du Liberia. D’après nos discussions avec les personnes directement impliquées dans cette migration, ce chiffre pourrait être triplé si l’on inclut tous ceux qui échappent aux radars », explique Bakary Traoré.
L’enquête révèle également qu’en quelques années, la taille des parcelles défrichées pour la culture a explosé. Les terres sont louées sur la base d’un système connu sous le nom de « planté/partagé », avec une certaine confusion quant à la nature de l’accord de partage et sa durée.
« L’ampleur de la déforestation est colossale. Dans les localités que nous avons visitées, toutes les familles ont cédé des parcelles de forêt allant de 50 à 300 hectares, contre 8 à 10 hectares dans notre précédent rapport l’année dernière. Nous devons réagir vite. Sinon, dans 10 ans au maximum, la vaste couverture forestière du Liberia ne sera plus qu’un lointain souvenir. »
« Avec la situation en Côte d’Ivoire et au Ghana, nous avons le recul nécessaire pour savoir que cette situation aura un impact désastreux sur la vie des communautés qui dépendent des forêts et de l’agriculture de subsistance. Nous avons besoin d’une mobilisation générale pour sauver les forêts du Liberia », insiste Bakary Traoré.
Le rôle clé de l’Union européenne
L’Union européenne est de loin le premier importateur mondial de cacao. En 2023, elle a adopté un règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts qui interdit la mise sur le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts après le 31 décembre 2020. Sept produits sont concernés : le café, le cacao, le caoutchouc, l’huile de palme, le soja, le bœuf et le bois.
Ce règlement pourrait jouer un rôle fondamental pour inverser cette tendance. Le cacao produit par la déforestation, tel que documenté dans l’enquête de l’IDEF, ne pourrait pas être exporté vers le marché européen. De même, la région de Grand Gedeh étant une zone périphérique avec peu de liens avec les centres libériens, il existe un risque que les fèves libériennes entrent dans la chaîne d’approvisionnement ivoirienne, ce qui poserait également problème au regard du RUED.
Malgré le rôle clé du RUED dans la lutte contre la déforestation causée par la production de cacao, la Commission vient d’annoncer son intention de reporter une fois de plus sa mise en œuvre.
« La situation sur le terrain est extrêmement préoccupante. Alors même que l’Europe pourrait jouer un rôle clé pour sauver ces forêts et aider ces communautés grâce à son règlement sur la déforestation, elle y manque en raison de sa procrastination constante. Si l’Europe persiste dans cette voie, sa crédibilité internationale sera remise en question », a déclaré Bakary Traoré.
Enfants exploités
L’enquête montre également que, au-delà de la question de la déforestation, un problème de trafic d’êtres humains est en train d’émerger. Lorsque les producteurs de cacao louent des terres, ils font venir de la main-d’œuvre pour travailler les parcelles. Des milliers de jeunes – très probablement des mineurs – sont recrutés par l’intermédiaire de passeurs. Sans contrats ni salaires, ces jeunes n’ont que la promesse de leurs « tuteurs », dont ils sont entièrement dépendants, de recevoir une part une fois la parcelle défrichée.
« Ce qui frappe lorsque l’on parcourt les routes de campagne et les villages, c’est le nombre de jeunes hommes que l’on voit. Par exemple, un ‘tuteur’ m’a dit qu’il n’y a pas de localité dans la région sans travailleurs migrants, et qu’ils sont plus nombreux que les Libériens dans la plupart des villages. Tous les jeunes que j’ai rencontrés affirmaient avoir 20 ans ou plus, malgré leur apparence particulièrement juvénile. Il est fort probable qu’ils aient été conseillés de le faire par ceux qui les ont fait venir », affirme Bakary Traoré.
Une situation préjudiciable pouvant engendrer des conflits communautaires
Au Liberia, la question de la propriété foncière est très sensible depuis la guerre civile des années 1990. La dynamique de déforestation décrite dans le rapport suscite de vives inquiétudes : une grande partie des terres revendiquées comme terres communautaires dans la région de Grand Gedeh est louée pour la cacaoculture en violation de la loi libérienne sur les droits fonciers. Certaines de ces plantations de cacao empiètent également sur des concessions existantes.
« L’accaparement des terres a entraîné des conflits et des tensions entre les chefs de communautés, les membres de la communauté et les cacaoculteurs. Il en a résulté des incidents violents, comme ceux qui ont eu lieu dans le district de Gbarzon à Grand Gedeh plus tôt cette année. Nous demandons instamment au Gouvernement du Liberia, en particulier à l’Autorité foncière du Liberia, à l’Autorité de développement forestier et au Ministère de l’Intérieur, d’intervenir et de mettre fin à cette déforestation massive », a déclaré Andrew Y. Y. Zelemen, Secrétaire du Syndicat national des comités de développement forestier communautaire (NUCFDC) du Liberia.
Contacts :
Bakary Traoré, Directeur exécutif à IDEF
bakary.traore@ongidef.org
+225 0749102193
Andrew Y. Y. Zelemen,
Chef du Secrétariat/Facilitateur National des NUCFDCs, Liberia
zelemenandrew@gmail.com
+231 77 738 5943
POUR DIFFUSION IMMÉDIATE
Abidjan, 2 Octobre 2025