MADAGASCAR, BIS REPETITA: L’ÎLE AUX TRÉSORS QUI NE PROFITENT QU’AUX AUTRES

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L’année 2009 fut celle de la ferveur populaire. Lorsqu’un jeune DJ, Andry Rajoelina, porté par la colère de la rue et de la jeunesse, renversa le président « démocratiquement » élu Marc Ravalomanana, beaucoup ont cru que l’île Rouge venait de reconquérir sa souveraineté, bafouée par les affaires opaques de cessions de terres et de richesses. C’était la jeunesse malgache, issue des quartiers modestes, qui se dressait contre le bradage national.

Seize ans plus tard, le constat est cruel. Le changement de pantin à la tête de l’État n’a rien changé à la loi immuable de la colonisation économique qui frappe Madagascar et partout en Afrique. L’amère vérité, crachée jadis par l’économiste Lionel Zinsou, résonne comme un glas funèbre au-dessus d’Antananarivo : l’Afrique, et par extension Madagascar, n’appartient décidément pas à ses enfants. En Octobre 2025 – L’histoire, telle une farce macabre, vient de se répéter à Madagascar. Le pays a été le théâtre d’une révolte populaire d’une intensité rare, culminant, après trois semaines de manifestations, par la jonction d’un contingent de l’armée aux insurgés. Cet embrasement a eu raison du dirigeant en place, ce citoyen français à la tête de la nation insulaire, et l’a chassé du pouvoir dans des circonstances qui rappellent étrangement 2009. L’homme déchu n’est autre qu’Andry Rajoelina, l’individu qui se targue d’élections « démocratique », mais dont la présidence est désormais synonyme de fuite. La cause de ce soulèvement ? La même que celle qui a déstabilisé le pays par le passé : l’incompétence des dirigeants et la cherté insupportable de la vie et cette fois, l’incapacité de l’État malgache à fournir de l’eau et de l’électricité aux populations.

La chute de Rajoelina, dont il faut marteler la double citoyenneté française, est un événement lourd de symboles. L’ancien président, dont l’allégeance aux intérêts étrangers est un secret de polichinelle, a trouvé refuge à l’ambassade de France. Une retraite qui, pour beaucoup, ne fait que confirmer l’alignement criant de sa politique sur les puissances étrangères. Le comble de l’ironie réside dans les premières déclarations de Rajoelina depuis sa cachette. L’homme, qui a lui-même accédé au pouvoir en 2009 sur des chars militaires, renversant un président « démocratiquement élu », s’est soudainement drapé dans les habits de la légitimité bafouée. Il s’est empressé de dénoncer une « prise de pouvoir illégale et par la force ».

Ce cycle  coup d’État/révolte, élection « démocratique », corruption, crise sociale – n’est pas une simple coïncidence. C’est la terrible loi d’une économie extravertie et pillée. Les mêmes causes entraînent inéluctablement les mêmes effets. Tant que l’économie malgache restera une chasse gardée d’entreprises étrangères et de prédateurs coloniaux, tant que l’État ne récupérera qu’une part marginale et indécente de ses propres richesses, il est une certitude glaciale : nous assisterons à une énième révolte populaire d’ici une décennie ou deux. Cette prochaine crise ne fera que porter au pouvoir un autre vassal servile, remplaçant un nouveau pion dans le jeu macabre de l’exploitation africaine. Le sort des Malgaches et des Africains en général est scellé tant que le joug économique ne sera pas brisé.

L’Écho Médiatique et l’Hypocrisie Démocratique 

Les médias français, ces mêmes canaux qui, avec une régularité suspecte, se livrent à l’apologie du terrorisme en Afrique via la diffusion de menaces de chefs terroristes, notamment dans l’AES (Alliance des États du Sahel), se sont fait les porteurs zélés de la parole de Rajoelina. La presse française attribue au président déchu la déclaration ci-dessous:

« La présidence de la République souhaite informer la nation et la communauté internationale qu’une tentative de prise du pouvoir illégale et par la force, contraire à la Constitution et aux principes démocratiques, est actuellement en cours sur le territoire national », a déclaré M. Rajoelina dans un communiqué le 12 octobre 2025.

Ce message sonne comme une dénégation outrancière venant de celui qui a si bien démontré, par le passé, son propre mépris des institutions. La nation malgache, elle, semble avoir tiré la sonnette d’alarme : le prix de la vie et la souveraineté ne sauraient être sacrifiés sur l’autel des « principes démocratiques » de ceux qui les ont allègrement piétinés.

Le Sous-sol Malgache, Trophée des Multinationale

Madagascar est un scandale géologique : il regorge d’ilménite (titane), de nickel, de cobalt, de zircon, tous des métaux stratégiques pour l’industrie mondiale et la transition énergétique. Pourtant, la population reste l’une des plus pauvres au monde. Ce paradoxe s’explique par la confiscation pure et simple des actifs par des capitaux étrangers voraces, agissant en toute légalité sous le couvert de conventions minières scandaleusement asymétriques. Le projet QMM à Fort-Dauphin, qui exploite l’ilménite, est un parfait exemple. Il est contrôlé par le géant anglo-australien Rio Tinto, qui détient la part du lion, soit 80% du capital. L’État malgache est relégué au rôle d’actionnaire minoritaire avec une misérable participation de 20%. C’est le prix d’un droit de regard, pas d’un pouvoir décisionnel.

Le projet Ambatovy, producteur de nickel et de cobalt raffinés, illustre quant à lui l’absence totale de souveraineté. La coentreprise est majoritairement détenue par Sumitomo (Japon) et la KOMIR (Corée du Sud). L’État malgache ? Il est absent de l’actionnariat principal ! Les bénéfices et la gestion sont décidés à Tokyo et à Séoul, tandis que le peuple malgache ne fait que supporter les externalités environnementales et sociales.

Les Lois de la Spoliation : Des Miettes Fiscales pour l’Élite

Le vrai drame réside dans la disparité abyssale entre le pillage systémique et la corruption de la classe dirigeante. Le mécanisme de prédation est simple : les entreprises multinationales s’assurent que la rente minière échappe au Trésor public malgache en bénéficiant de régimes fiscaux de faveur à travers la Loi sur les Grands Investissements Miniers (LGIM), qui semble encourager des exonérations douanières et de faciliter l’exportation brute. Le profit est réalisé à l’étranger via la sous-facturation et les mécanismes de rapatriement des bénéfices. L’État malgache se retrouve avec à peine 4% des revenus de l’État provenant du secteur extractif.

Et c’est ici que l’indignation atteint son paroxysme : les miettes versées aux présidents déchus et à la classe dirigeante, même si elles leur permettent de mener une vie luxueuse, ne représentent même pas 1% de ce que volent les entreprises étrangères par le siphonage légalisé. Les leaders corrompus sont de simples valets achetés à bas prix, dont la corruption est utilisée comme un paravent commode pour masquer la voracité et le pillage colossal des multinationales.

Voilà pourquoi la jeunesse africaine se lève et dénonce : les lois qui régissent l’exploitation minière et des matières premières sur le continent accordent de facto aux intérêts étrangers l’accaparement de la majorité de la valeur. Le chiffre de 70% des actifs et des gains n’est pas une simple rumeur, mais la réalité perçue du siphonage massif de la rente.

Tant que les Malgaches ne contrôleront pas leurs ports, leurs mines et leur transformation industrielle, leur destin restera captif. La souveraineté ne s’acquiert pas par des élections de façade, mais par la reprise en main de l’outil économique national.

Pire encore, la colonisation économique et mentale se métamorphose aujourd’hui en une farce politique. La soi-disant « démocratie électorale » est toujours utilisée pour remplacer des marionnettes déchues par des pantins promus par l’Occident, assurant ainsi la pérennité des intérêts étrangers au détriment de la souveraineté populaire.

L’analyse de la chute du régime de Rajoelina ne saurait être complète sans l’examen de cette abomination légale qu’est la Loi sur les Grands Investissements Miniers. Ce texte n’est pas une simple régulation économique ; c’est l’architecture du vol légalisé, l’instrument parfait qui assure que la rente minière, la richesse supposée du peuple malgache, échappe au Trésor public. C’est ici que l’indignation se transforme en nausée : la LGIM est la preuve que le mécanisme de prédation est simple, transparent et institutionnalisé, puisqu’elle organise et structure la grande braderie fiscale, des taux dérisoires sur une stabilité inique. Sous le prétexte fallacieux d’attirer l’investissement, la LGIM a octroyé des avantages fiscaux si drastiques qu’ils tiennent de la trahison nationale. Les multinationales — ces exploitants du nickel, du cobalt et des terres rares — bénéficient de taux de redevance minière dérisoires, historiquement fixés autour de 2 % de la valeur marchande, faisant de Madagascar un paradis pour les pilleurs, et un enfer pour ses citoyens.

Le comble de l’iniquité réside dans la clause de stabilité fiscale. Ce bouclier juridique, valable parfois pour 25 ans ou plus, garantit que même si le gouvernement malgache trouve enfin la décence ou le courage d’augmenter ses taxes pour financer des écoles ou des hôpitaux, les entreprises LGIM restent protégées et continuent de payer l’aumône convenue. On ajoute à cela des exonérations massives sur l’Impôt sur les Sociétés et la TVA, et on obtient un État incapable de mobiliser la moindre ressource pour son propre développement. La LGIM brille également par l’organisation méthodique de la fuite des capitaux. Si l’impôt est un mirage, le contrôle des bénéfices est inexistant. La LGIM consacre le droit absolu au pillage financier en garantissant la liberté totale de transférer les devises hors du pays. Les bénéfices nets, les dividendes, le remboursement des prêts – tout est siphonné sans le moindre contrôle, créant une fuite de capitaux massive qui affaiblit l’Ariary (l’unité monétaire nationale de Madagascar) et étrangle la souveraineté monétaire. Ce mécanisme assure que l’argent des mines ne circulera jamais au profit du Malgache, mais finira directement dans les coffres-forts des actionnaires étrangers. C’est là qu’intervient l’Ariary. La dépréciation chronique et brutale de l’Ariary est un point crucial. Chaque chute de la monnaie nationale rend ces importations de carburant excessivement chères. La Jirama (entreprise en charge de l’eau et de l’électricité), déjà au bord de la faillite, doit payer ces produits en devises fortes (dollars ou euros). Ce coût faramineux est soit répercuté indirectement, soit il engloutit les subventions de l’État qui devraient servir au développement, soit il force la Jirama à couper l’électricité faute de pouvoir acheter assez de pétrole. L’instabilité de l’Ariary est le lien direct et meurtrier entre la finance mondiale et le quotidien insupportable du Malgache, aggravant aussi l’inflation sur le riz et les produits de première nécessité.

La LGIM verrouille enfin le système en cas de litige. Si le gouvernement, sous la pression populaire ou la nécessité, tente de reprendre le contrôle de ses ressources ou de renégocier les conditions, il se heurte à deux murs. D’abord, la loi garantit une protection sans faille contre toute expropriation. Ensuite, elle force l’État à recourir aux tribunaux d’arbitrage internationaux (comme le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements CIRDI), des instances où la défense de l’investisseur prime presque toujours sur le droit d’un État pauvre à subvenir aux besoins de son peuple. Il convient de souligner que le CIRDI est une institution faisant partie du Groupe de la Banque mondiale, donc du pillage organisé es ressources naturelles des pays du sous-développés.

À notre avis, la LGIM n’est pas une loi ; c’est un acte de capitulation et de servitude volontaire, signé d’avance. Elle attire l’investissement étranger au prix de la souveraineté fiscale et condamne l’État malgache à ne percevoir qu’une part marginale de la richesse extraite de son sous-sol, le laissant impuissant face à la misère et aux coupures d’électricité qui ont fait tomber le dernier pantin. Il faut marteler les faits : cette loi scélérate, fut promulguée par la Loi n°2001-031 du 8 octobre 2002 sous la présidence de Didier Ratsiraka, mais le régime de pillage qu’elle a institutionnalisé a été entériné par ses successeurs, notamment Marc Ravalomanana, lui-même chassé du pouvoir en 2009 par une révolte populaire alimentée par le même ras-le-bol face à la spoliation des richesses nationales.

Mais le véritable instigateur n’est pas un seul homme ni un seul pays. Ce cadre juridique d’exception, avec ses clauses de stabilité fiscale et ses garanties d’arbitrage international via le CIRDI, permettant aux multinationales d’éviter la justice malgache — est directement inspiré et souvent imposé par les institutions financières internationales (IFI) comme la Banque mondiale et le FMI. Le président malgache, quel qu’il soit, devient le valet de ce système de capitalisme extractif transnational, chargé d’appliquer la législation qui assure la rentabilité maximale pour les capitaux étrangers.

Quand les Révoltes se Trompent de Cible

Or, le piège de cette colonisation économique moderne est sa capacité à dévier la colère populaire. Les révoltes cycliques qui secouent le pays, et le continent noir tout entier, ciblent obstinément les valets locaux – les politiciens corrompus qui se partagent les 1% de la manne. Mais ces mouvements ne mettront point fin à la pauvreté tant que les populations ne réaliseront pas que les véritables ennemis sont les entreprises étrangères qui accaparent 80% des richesses du pays. C’est contre ces géants, et non contre leurs marionnettes, qu’il faut dorénavant diriger la lutte. L’impératif de souveraineté est clair : il faut les chasser, ou du moins exiger d’eux qu’ils cèdent immédiatement les 80% d’actifs et de bénéfices qu’ils détiennent au prix de la corruption, (de législations imposées) et qu’ils ne se contentent plus que d’une part minoritaire de 20% des ressources qu’ils extorquent. C’est l’unique condition d’une redistribution juste et d’une industrialisation véritable. Tant que les Malgaches et les Africains ne contrôleront pas la prospection, l’exploitation et la transformation industrielle de leurs richesses, leur destin restera captif. La souveraineté ne s’acquiert pas par des élections de façade, mais par la reprise en main de l’outil économique nationational.

L’Afrique, cette terre qui n’appartient pas à ses enfants

Le cri d’alarme n’est pas venu d’un panafricaniste radical, mais d’un banquier d’affaires franco-béninois, un homme au cœur du système : Lionel Zinsou. En 2011, bien avant son passage à la primature du Bénin, il a jeté une vérité crue à la face de l’Europe, une vérité que les Africains vivent quotidiennement : «L’Afrique appartient à l’Europe… et n’appartient pas encore aux Africains.» Cette formule, souvent tronquée pour en minimiser l’impact, n’est pas une simple provocation. C’est le constat brutal d’une colonisation économique qui se montre interminable et s’est affranchie des drapeaux coloniaux pour revêtir le costume du libre-échange.

L’analyse de Zinsou est implacable. Elle ne parle pas d’aide, mais de stock de capital investi. Interrogez-vous : qui détient les mines, le pétrole, les grands domaines agricoles, les terminaux portuaires, les cimenteries ? La réponse, selon Zinsou, est l’Europe, dont les capitaux dominent toujours, reléguant la Chine et les autres puissances au statut de challengers. Ce constat factuel est le nœud de l’appauvrissement africain. Partout sur le continent, les lois minières et pétrolières, souvent héritées ou adaptées sous pression, accordent aux compagnies étrangères une part d’exploitation colossale, dépassant les souvent 70% des actifs et des bénéfices générés. Si les chiffres officiels occidentaux peinent à chiffrer cette emprise avec précision, la réalité du terrain et la frustration des peuples sont incontestables. Comment expliquer autrement la vague de contestation qui submerge l’Afrique, cherchant à remettre en cause ces contrats léonins qui garantissent le pillage ? Les Africains se battent pour des réformes qui n’auraient pas lieu d’être si la richesse restait sur place.

Le drame ne réside pas seulement dans la propriété, mais dans le modèle économique imposé : l’exportation de matière brute. Nous exportons du cacao pour acheter du chocolat, du coton pour importer des vêtements, du pétrole brut pour payer l’essence raffinée ailleurs.

Comme le déplore l’économiste, nous laissons la valeur ajoutée – et les millions d’emplois qui l’accompagnent – s’installer en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Le résultat est une fuite des capitaux massive et légalisée, qui siphonne les ressources, maintient le chômage de masse chez les jeunes et entrave toute tentative d’industrialisation réelle. C’est cette prédation qui condamne les jeunes Africains à l’immigration, les poussant vers les mêmes destinations dont les multinationales extorquent leurs richesses.

L’Aliénation Mentale : Colonisation Culturelle et Politique

L’emprise ne s’arrête pas à l’économie. Zinsou l’a également souligné : « L’Afrique parle le Français, l’Anglais… l’Afrique pense en Français et en Anglais. » Cette aliénation culturelle et linguistique fait de nos pays des marchés naturels pour les marques et les produits européens, et de plus en plus chinois, perpétuant une dépendance non seulement économique, mais aussi mentale.

Pire encore, la colonisation économique et mentale se métamorphose aujourd’hui en une farce politique. La soi-disant « démocratie électorale » est trop souvent utilisée pour remplacer des marionnettes déchues par des pantins promus par l’Occident, assurant ainsi la pérennité des intérêts étrangers au détriment de la souveraineté populaire.

Il est temps de sortir de ce cycle infernal. L’Afrique ne se développera pas tant qu’elle n’aura pas pris possession de ses actifs stratégiques et de son outil de production. Il n’est pas exagéré de répéter que le combat pour la souveraineté n’est pas seulement politique, il est d’abord et avant tout économique, culturel et mental. La Gen Z n’invente rien, ni au Népal secoué par une violente révolte en septembre 2025 ayant about au renversement du gouvernement, ni à Madagascar, où elle a réussi également à renverser le président. La Gen Z hérite d’une situation de fait, une exploitation systématique qui la pousse à exposer sa frustration dans les rues de manières particulièrement violentes et à la hauteur de la violence des forces de l’ordre mandatées aussi bien à Katmandou qu’à Antananarivo pour la contenir. La véritable lutte est celle pour la souveraineté économique des pays et la fin de cette exploitation transparente.

 Par Goïkoya Kolié, juriste, notre collaborateur depuis Canada

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