L’Heure du Choix : La débâcle du dollar américain et l’ascension silencieuse du géant chinois

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Le système financier mondial est à la croisée des chemins. L’outil de puissance incontesté des États-Unis, le SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), qui confère au dollar son statut d’arme géopolitique, est de plus en plus remis en question. L’exclusion brutale de la Russie du système, conjuguée à des menaces similaires proférées contre des pays africains, a agi comme un électrochoc, poussant de nombreuses nations à se tourner vers l’alternative chinoise : le CIPS (Cross-Border Interbank Payment System).

Créé en 1973 et basé en Belgique, SWIFT n’est pas une institution de règlement, mais une coopérative neutre qui fournit un réseau de messagerie ultra-sécurisé utilisé par plus de 11 000 institutions financières dans plus de 200 pays. Il est le cœur battant des transactions internationales, assurant la communication des ordres de paiement. Le pouvoir exorbitant des États-Unis sur ce système, bien que SWIFT soit européen, découle principalement de la domination du dollar américain dans les échanges mondiaux et du rôle de ses banques dans le règlement final des transactions. En rendant toute banque, entreprise ou pays dépendant du dollar américain pour le commerce international, Washington obtient un pouvoir d’extraterritorialité sans précédent. L’accès à SWIFT et au système bancaire en dollars est ainsi devenu l’instrument de punition économique le plus puissant de Washington. En excluant des pays comme l’Iran, puis la Russie, les États-Unis isolent l’État ciblé du commerce mondial, lui causant des dommages économiques massifs. Ces actions, perçues comme des abus américains, sont l’épée de Damoclès qui pèse désormais sur toute nation qui déplaît à Washington et à ses alliés.

Le CIPS Chinois : Mécanisme d’une Révolution Silencieuse

Le Cross-Border Interbank Payment System, lancé par la Chine en 2015, est la colonne vertébrale de sa stratégie de dédollarisation. Contrairement à SWIFT, qui est un système de messagerie, le CIPS est à la fois un système de messagerie et de règlement direct. Le CIPS permet le règlement des transactions commerciales directement en Yuan (CNY), sans conversion obligatoire par le dollar américain. Il facilite le traitement des paiements transfrontaliers pour les institutions financières domestiques et étrangères, offrant une alternative au circuit dominé par le dollar. Le système est compatible avec SWIFT, mais il permet d’éviter l’étape cruciale des banques correspondantes américaines, contournant ainsi le champ d’application de la juridiction de Washington.

Le fonctionnement technique du CIPS est une véritable épée dégainée Pékin. Le CIPS est bien plus qu’une simple alternative, c’est un système de paiement en temps réel (RTGS). Tandis que SWIFT transmet uniquement les ordres de paiement, nécessitant le passage par des banques correspondantes américaines (ou de l’Ouest) pour le règlement final en dollars, le CIPS gère le message et le règlement simultanément en yuans. Il court-circuite la nécessité d’une conversion en USD, offrant un règlement en monnaie chinoise dès l’origine de la transaction. Le CIPS utilise des normes de messagerie internationalement reconnues, le rendant techniquement interopérable avec d’autres systèmes, mais sa force réside dans son autonomie de règlement. Le système est conçu pour faciliter les transactions intercontinentales, avec des heures d’ouverture plus longues que les systèmes traditionnels. Le fait que toutes les transactions soient réglées sous l’égide de la Banque populaire de Chine (PBOC) protège les participants (notamment les banques étrangères) de l’examen et des sanctions extraterritoriales du Département du Trésor américain, une garantie de souveraineté financière particulièrement appréciée par les nations sous pression.

L’Expansion Africaine : Chronologie d’une Prise d’Autonomie

Lorsque cinquante-trois pays du continent noir s’orientent massivement vers CIPS, c’est la colossale et hyperpuissance économique planétaire américaine qui tremble, vacille, bascule brutalement et menace de péricliter dans un redoutable piège de Thucydide, ce qui déclenchera le le séisme économique le plus dévastateur de notre époque. Le chiffre de 53 pays africains ne correspond pas à une adhésion unique et formelle au CIPS, mais reflète la stratégie bilatérale accélérée de la Chine et l’intégration croissante des banques centrales et commerciales africaines dans les mécanismes de règlement en Yuan. C’est une révolution économique sans précédent qui se construit par étapes. Des accords de Swap de Devises (Dès 2018) ont été mis en place avec des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte, permettant l’échange direct de leurs monnaies nationales contre le Yuan pour le commerce, sans passer par le dollar. L’Adoption par les Banques Commerciales (2020-2025) s’accélère, de plus en plus de grandes banques africaines se connectant au CIPS ou acceptant le règlement en Yuan, un alignement directement lié au fait que la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de l’Afrique. L’Impulsion Post-Sanctions (Depuis 2022) a été un catalyseur final : la menace d’une sanction similaire planant sur des nations africaines a accéléré la recherche d’alternatives, faisant du CIPS la solution de diversification privilégiée. Le mouvement est désormais quasi généralisé, visant l’Objectif de Couverture Panafricaine pour minimiser la dépendance au dollar, reflétant l’ambition d’une souveraineté économique panafricaine.

L’orientation d’une majorité écrasante des nations africaines vers le système CIPS chinois représente bien plus qu’un simple changement technique de virement bancaire ; elle signe le début du séisme économique le plus attendu de ce siècle. Ce mouvement massif menace directement deux des piliers fondamentaux sur lesquels repose la superpuissance américaine.

Premièrement, l’adoption du CIPS frappe de plein fouet l’hégémonie du dollar américain en sapant la dédolarrisation. Pendant des décennies, le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar a conféré aux États-Unis un pouvoir exorbitant, leur permettant notamment d’exercer une politique de sanctions financières redoutable en menaçant de couper l’accès au réseau SWIFT. Or, chaque transaction effectuée par les économies africaines – un continent riche en ressources stratégiques et en forte croissance – qui utilise le Yuan via CIPS est une transaction qui échappe à la fois au dollar et à la surveillance de Washington. Cette sortie de l’orbite du dollar réduit la demande mondiale de la monnaie américaine, augmentant in fine le coût de financement de la dette américaine et neutralisant le principal outil d’influence géopolitique des États-Unis.

Deuxièmement, cette adhésion des pays africains se traduit par une perte de contrôle stratégique sur les flux d’informations financières mondiales. En contournant le réseau SWIFT, perçu comme étant sous forte influence occidentale, l’Afrique s’octroie une autonomie précieuse sur ses données et ses échanges commerciaux. Cette perte de visibilité sur les milliards de dollars (ou plutôt de yuans) qui transiteront désormais par le système chinois porte un coup majeur aux capacités de renseignement et de traçabilité des États-Unis, amoindrissant leur pouvoir de surveillance globale et d’application de sanctions secondaires.

En s’alignant sur cette infrastructure alternative, le continent africain envoie un signal géopolitique sans équivoque : celui d’une volonté d’affranchissement des systèmes financiers historiques dominés par l’Occident. Ce transfert potentiel de puissance économique vers l’Est alimente de manière spectaculaire le récit du déclin américain et accélère l’entrée dans le redoutable piège de Thucydide, où la puissance établie vacille face à la puissance montante. L’Amérique, historiquement la plus puissante des nations, tremble violemment et menace de péricliter alors que le monde économique se reconfigure sous ses yeux.

Le « Pétroyuan » et le Séisme sur l’Énergie

L’enjeu le plus critique de cette dédollarisation touche le marché des matières premières, dominé depuis les années 1970 par le pétrodollar, un système informel où le pétrole est facturé en dollars, garantissant une demande perpétuelle pour la monnaie américaine. L’émergence du Pétroyuan est l’attaque frontale la plus significative contre ce pilier de l’hégémonie américaine. La Chine, en tant que premier importateur mondial de pétrole, a lancé des contrats à terme sur le pétrole brut libellés en Yuan sur la Bourse de l’énergie internationale de Shanghai, une démarche initialement considérée comme symbolique, mais qui gagne une traction décisive. Des producteurs clés comme la Russie et l’Iran, sous sanctions occidentales, vendent déjà leur pétrole à Pékin en Yuan, mais le véritable changement de donne réside dans l’incitation lancée à l’Arabie Saoudite pour libeller une partie de ses ventes en monnaie chinoise. Si Riyad, pilier historique du pétrodollar, franchit ce pas, cela entraînerait une réaction en chaîne immédiate : la Fin de l’Exclusivité du Dollar réduirait le besoin mondial en dollars, affaiblissant le billet vert, engendrant une nouvelle Volatilité et Spéculation Monétaire sur l’énergie, et une Nouvelle Géopolitique des Contrats où l’autonomie monétaire des importateurs serait renforcée. Le commerce des métaux et des denrées agricoles suivrait rapidement cette tendance à la diversification des devises de facturation, accélérant la fragmentation et le multipolarisme.

Le « Choc Trump » et l’Écho de Tokyo

Le séisme géopolitique s’étend jusqu’aux alliés traditionnels. L’émergence d’une nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, ultra-conservatrice mais pragmatique, a créé la surprise et la fureur à Washington. Lors de son premier discours de politique nationale le 21 octobre 2025, la Première ministre Takaichi a clairement indiqué que son pays ne serait pas l’instrument d’une politique de guerre économique contre la Chine. Bien qu’elle ait qualifié l’alliance avec les États-Unis de « pierre angulaire », elle a également décrit la Chine comme un « voisin important », signalant une volonté de maintenir un dialogue économique stable avec Pékin. Elle a déclaré en substance que le Japon donnerait la priorité à ses propres intérêts économiques et à la stabilité régionale, rejetant implicitement toute escalade commerciale ou technologique à l’instigation des États-Unis. Ce discours, perçu comme une affirmation de souveraineté économique, a valu à la Première ministre un taux d’opinion favorable avoisinant les 60% auprès du public japonais, qui soutient massivement une approche pragmatique. L’annonce (symboliquement forte dans ce nouveau contexte géopolitique) d’une possible harmonisation monétaire entre le Japon, la Corée du Sud et la Chine a encore amplifié l’onde de choc à Washington, signalant une potentielle intégration économique régionale qui marginaliserait davantage le dollar. L’ultra-conservatrice Takaichi, connue pour ses positions nationalistes, est paradoxalement celle qui pourrait initier cette nouvelle ère de coopération asiatique, préférant la stabilité économique régionale à une confrontation idéologique avec la Chine.

Le Bloc BRICS : L’Institutionnalisation du multipolarisme

La dédollarisation n’est pas un simple mouvement de marché, mais une stratégie institutionnelle coordonnée dont l’épicentre est le bloc des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ces cinq nations fondatrices agissent comme le moteur idéologique et pratique de la construction d’un ordre mondial multipolaire. En cherchant à établir un mécanisme de règlement inter-BRICS contournant le dollar et à explorer la faisabilité d’une monnaie de réserve commune, elles posent les jalons d’une alternative systémique. Leur force réside moins dans une monnaie unique immédiate que dans la masse critique qu’elles représentent. L’élargissement récent du groupe à des nations exportatrices d’énergie majeures comme l’Arabie Saoudite, l’Iran et les Émirats Arabes Unis, ainsi qu’à des économies émergentes clés comme l’Égypte et l’Éthiopie, a transformé le BRICS d’un simple forum en une alliance de puissance couvrant les principaux producteurs de matières premières et les plus grands marchés de consommation. La nouvelle architecture du BRICS+ garantit que le flux des pétroyuans ne sera pas réinjecté dans les actifs en dollars, mais recyclé au sein du bloc pour financer des projets d’infrastructure ou des échanges commerciaux, fermant le cercle de la dédollarisation et conférant au nouveau bloc une profondeur financière capable de rivaliser avec le G7.

L’Hémorragie économique américaine : Le Coût du Déclin

La perte du statut de monnaie de réserve mondiale (le seigneurage) est le risque le plus systémique pour les États-Unis. Une dédollarisation significative réduirait la demande constante pour la dette américaine, obligeant le gouvernement américain à offrir des taux d’intérêt plus élevés pour financer sa dette nationale colossale. Cela entraînerait une augmentation massive des coûts d’emprunt pour l’État, les entreprises et les ménages. La diminution de la demande internationale de dollars provoquerait une dépréciation du dollar, rendant les importations plus chères et alimentant l’inflation domestique, un choc économique direct pour les consommateurs américains. Si le dollar perd ce privilège, la capacité de « vivre au-dessus de ses moyens » des États-Unis, permise par le financement de déficits grâce à l’acceptation mondiale de leur monnaie, serait sévèrement restreinte.

Par ailleurs, la « guerre des tarifs » menée par Donald Trump, même contre des alliés comme le Canada ou l’Union Européenne, a considérablement attiré l’inimitié des partenaires traditionnels de Washington. Ces tarifs ont été perçus comme une trahison et un signal que les États-Unis privilégieraient toujours l’unilatéralisme. Cela a poussé les alliés à chercher d’autres partenaires commerciaux, notamment en Asie, accélérant le mouvement de diversification qui favorise indirectement l’ascension de la Chine.

Implications de la Dédollarisation : L’Économie mondiale face au multipolarisme

La dédollarisation en cours, symbolisée par le virage africain vers le CIPS et la prudence japonaise, engendre des implications profondes Pour l’Économie mondiale, l’émergence d’un système financier multipolaire pourrait introduire une nouvelle instabilité à court terme, mais potentiellement une plus grande résilience à long terme. Aucun pays ne détiendra plus le monopole d’une « arme nucléaire financière », forçant une plus grande prudence dans l’imposition de sanctions et pouvant mener à un rééquilibrage des termes de l’échange en faveur des pays émergents. Pour l’Avenir des Alliances Traditionnelles des États-Unis, le lien de confiance est clairement endommagé. Les alliés comme le Japon ou les pays européens réalisent que l’alignement géopolitique ne garantit plus la stabilité économique face aux revirements de politique américaine. Ces alliances risquent de devenir plus transactionnelles et moins idéologiques. Les partenaires de Washington chercheront de plus en plus à « dé-risquer » leur dépendance aux États-Unis en se rapprochant de l’axe sino-russe pour les aspects commerciaux et financiers, même s’ils restent militairement et politiquement proches de l’Occident. L’ère de l’alignement inconditionnel semble révolue, laissant place à une diplomatie d’équilibrage où les intérêts économiques priment la loyauté. Le monde est en train de passer d’un ordre unipolaire, centré sur le dollar, à un multipolarisme financier, un changement tectonique où l’Afrique et le Japon tracent leur propre voie vers la souveraineté économique.

Le Verdict de l’histoire : L’Ère de l’Unilatéralisme s’achève, place au Multilatéralisme Respectueux

La messe est dite : le temps où un seul État pouvait dicter les règles du commerce mondial, brandissant la menace d’exclusion financière comme une épée fatale, touche à sa fin. Le CIPS chinois n’est pas seulement un système de paiement, c’est le manifeste d’une nouvelle ère où les nations, lassées de l’extraterritorialité américaine, réclament leur souveraineté économique. La débâcle annoncée du dollar n’est pas le fruit d’une conspiration, mais la conséquence directe d’une politique de sur-sanction qui a transformé la monnaie de réserve mondiale en un fardeau géopolitique intolérable pour ses utilisateurs. La Chine, en offrant une voie de règlement non seulement efficace mais politiquement sécurisée, est en train de capter une part croissante du commerce mondial, marquant un changement tectonique qui redéfinit l’échiquier des puissances. Washington doit comprendre que le choix n’est plus entre le dollar et le yuan, mais entre le multilatéralisme respectueux et l’isolement. Ce multilatéralisme respectueux que le monde appelle de ses vœux n’est pas la fin de la puissance américaine, mais l’acceptation que celle-ci doit désormais s’exercer dans le cadre de règles acceptées et non imposées. Il s’agit d’un système où les sanctions sont l’exception et non la norme, où la coopération économique n’est pas subordonnée à l’alignement géopolitique, et où l’interdépendance financière est une source de stabilité mutuelle plutôt qu’une arme de chantage. Le déclin de l’unilatéralisme financier sonne l’heure d’une gouvernance mondiale plus équilibrée, moins volatile, où le respect de la souveraineté économique de chaque partenaire devient la pierre angulaire de la prospérité partagée. Le siècle de l’hégémonie monétaire touche à sa fin, et le monde entier assiste, non pas à une chute, mais à une redistribution audacieuse des cartes financières, où la confiance remplace la coercition comme moteur du commerce international.

 Par Goïkoya Kolié, juriste, notre collaborateur depuis Canada