Le crépuscule de l’État de Droit : quand l’UE se saborde sur l’autel de la géopolitique 

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L’Union européenne traverse aujourd’hui une crise existentielle qui dépasse largement les indicateurs économiques ou les débats institutionnels. Pour Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances grec et critique constant de la technocratie bruxelloise, cette période marque l’apparition d’un phénomène qu’il qualifie de « vandalisme juridique ».

Dans une récente intervention intitulée Russia’s Legal Masterclass, il décrit comment l’UE, en tentant de saisir illégalement les avoirs russes, s’est heurtée à un mur de réalité légale qui met en lumière sa propre dérive vers des pratiques de plus en plus autoritaires.

Cette analyse s’inscrit dans un débat plus large, où des chercheurs comme John Mearsheimer ou Jeffrey Sachs interrogent les conséquences politiques, juridiques et géopolitiques des choix européens depuis 2022.

L’objectif ici n’est pas de défendre une position partisane, mais d’examiner les contradictions internes qui émergent lorsque l’UE cherche à concilier ses principes fondateurs avec des mesures exceptionnelles prises dans un contexte de guerre.

 

Quand l’État de droit se fissure au nom de la vertu : le droit comme arme ou comme boomerang

Depuis le début du conflit en Ukraine, l’Union européenne a cherché à utiliser le droit comme un instrument de pression stratégique.

Cette volonté de « militariser » le système financier, selon l’expression souvent reprise par Jeffrey Sachs, repose sur l’idée que les normes juridiques peuvent devenir des leviers de puissance. Pourtant, comme le souligne Varoufakis, cette stratégie révèle un paradoxe profond : un ordre fondé sur des règles perd sa légitimité lorsque ceux qui l’ont établi s’en affranchissent. La distinction entre gel et confiscation des avoirs russes illustre parfaitement cette tension. Le gel est une mesure temporaire et réversible ; la confiscation constitue une expropriation définitive, qui exige une base légale solide et une procédure judiciaire rigoureuse.

C’est précisément sur ce terrain que la Russie a choisi de répondre, non par la force, mais par une démonstration juridique d’une précision remarquable. En engageant des cabinets d’avocats internationaux de premier plan, européens comme américains, Moscou a produit un document de plus de huit cents pages qui constitue une analyse exhaustive des contradictions du projet européen. Ce dossier n’est pas une simple protestation politique : il s’agit d’une véritable autopsie du droit de propriété, qui démontre que la notion d’« immobilisation » des actifs, telle que formulée par la Commission européenne, ne repose sur aucune base juridique solide.

Les juristes rappellent que le principe d’immunité souveraine interdit à une juridiction régionale de saisir les biens d’un État étranger, et que la tentative européenne de distinguer les profits générés par les actifs des actifs eux-mêmes ne résiste pas à l’analyse. Ils rappellent qu’en droit financier, l’accessoire suit le principal : s’approprier les fruits d’un bien revient à porter atteinte à la propriété du bien lui-même.

Cette « Masterclass » juridique, selon Varoufakis, révèle une contradiction plus profonde encore. En montrant que les avoirs déposés dans les banques européennes ne sont plus protégés par un cadre juridique stable, l’UE affaiblit la confiance internationale dans l’euro.

Varoufakis parle à ce sujet d’un « suicide du rôle de l’euro », car cette perte de crédibilité incite de nombreux pays du Sud global à accélérer leur diversification monétaire et à réduire leur exposition au système eurodollar.

Le dossier russe agit ainsi comme un avertissement adressé à toutes les banques centrales : l’euro-clearing n’est plus un espace neutre, mais un outil politique susceptible d’être mobilisé de manière arbitraire.

L’arme du Droit : la contre-offensive juridique qui paralyse Bruxelles

Cette « Masterclass » juridique, telle que décrite par Yanis Varoufakis, met en lumière un basculement où la Russie utilise les armes mêmes de l’Occident, le droit et la procédure, pour paralyser l’Union européenne. Le dossier de 800 pages est présenté comme une véritable bombe à retardement pour Bruxelles, tant il expose en détail les faiblesses structurelles du raisonnement juridique européen et les risques qu’il comporte pour l’architecture institutionnelle de l’UE. Les avocats de la Russie y identifient plusieurs piliers juridiques sur lesquels, selon eux, l’Union européenne se serait « prise les pieds dans le tapis ».

Le premier est celui de l’immunité souveraine absolue : en droit international, les actifs d’une banque centrale étrangère bénéficient d’une immunité de juridiction et d’exécution, et les experts rappellent que les réserves de change ne sont pas des « actifs commerciaux » ordinaires, mais des instruments de souveraineté.

Le dossier s’appuie également sur la Convention des Nations Unies de 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, qui, bien que non ratifiée par tous, codifie le droit coutumier international en affirmant que les biens d’une banque centrale ne peuvent faire l’objet de mesures de contrainte sans le consentement exprès de l’État propriétaire.

Les juristes contestent aussi la notion de « réparations unilatérales », estimant que l’UE ne peut justifier une saisie comme une forme de réparation anticipée pour l’Ukraine en l’absence d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ou d’un traité de paix. Selon cette analyse, aucune entité régionale ne peut s’auto-attribuer le rôle de juge et de collecteur de dettes. Paradoxalement, c’est également le droit européen lui-même qui est invoqué : la Charte des droits fondamentaux de l’UE, dans son article 17, stipule que nul ne peut être privé de sa propriété sauf pour cause d’utilité publique, dans les cas et conditions prévus par la loi, et moyennant une juste indemnité.

Saisir des biens souverains sans condamnation pénale préalable serait, selon cette lecture, en tension directe avec ce texte. À cela s’ajoute un argument économique : si l’euro devient une monnaie où la propriété est perçue comme conditionnelle, il risque de perdre son statut de monnaie de réserve.

Certains responsables européens, notamment en Allemagne ou au sein de la BCE, ont exprimé leur inquiétude face à l’idée qu’un tel précédent pourrait autoriser d’autres pays à saisir les avoirs d’États européens lors de futurs conflits.

Varoufakis évoque également les quatorze juridictions nationales et internationales où la Russie a lancé ou s’apprête à lancer des procédures de blocage et de contestation. Ces actions ne visent pas seulement l’UE en tant que bloc, mais aussi les maillons de la chaîne financière.

Le Tribunal de l’Union européenne, au Luxembourg, constitue le front principal, et plusieurs décisions y ont déjà annulé des sanctions contre des individus russes faute de preuves suffisantes, créant un précédent qui pourrait peser sur la question des actifs souverains.

La Cour européenne des droits de l’homme est également mentionnée pour des recours fondés sur la violation du droit au procès équitable et du droit de propriété.

Les tribunaux nationaux de Belgique, de France, d’Allemagne ou du Luxembourg sont saisis car les avoirs russes sont physiquement détenus par des dépositaires centraux comme Euroclear ou Clearstream.

Enfin, la Cour internationale de Justice pourrait être mobilisée pour examiner d’éventuelles violations des traités internationaux sur l’immunité des États.

Pour l’instant, aucune de ces juridictions n’a rendu de verdict final sur les quelque 245 milliards concernés, mais certaines ont déjà donné raison à des individus contestant des gels d’avoirs personnels jugés insuffisamment étayés.

La panique de l’UE proviendrait de la prise de conscience que si elle procédait à une confiscation, elle pourrait être condamnée à rembourser non seulement le capital, mais aussi les intérêts et des dommages-intérêts potentiellement colossaux pour préjudice financier.

C’est ce qui expliquerait le récent recul : l’UE ne parle plus de saisie des avoirs, mais seulement de l’utilisation des profits générés par ces avoirs, une distinction que le dossier de 800 pages considère comme juridiquement fragile et susceptible d’être contestée de la même manière.

Ainsi, l’Union européenne se retrouverait dans une position délicate : elle a pris un engagement politique fort en promettant d’utiliser les fonds russes, mais ses propres avocats et ses propres tribunaux lui signalent que cette démarche pourrait entraîner des conséquences juridiques et financières majeures. Selon cette analyse, l’UE serait prise au piège entre ses objectifs politiques et les contraintes de son propre ordre juridique.

L’autocratie administrative : la dérive que personne n’ose nommer

Cette évolution ne se limite pas aux relations entre l’UE et la Russie. Elle s’accompagne d’un phénomène interne qui attire l’attention de nombreux chercheurs : l’extension des sanctions administratives à des personnes physiques, souvent des citoyens européens ou résidants en Europe, accusés d’entretenir des positions jugées « pro-russes » ou de diffuser des analyses contraires à la ligne officielle.

Ces mesures, qui incluent des restrictions bancaires, des interdictions de territoire ou des limitations de déplacement, sont prises sans procédure judiciaire, sans débat contradictoire et souvent sans présentation de preuves.

Pour John Mearsheimer, cette évolution illustre un mécanisme bien connu : les institutions libérales tendent à sacrifier leurs propres principes lorsqu’elles se sentent menacées. L’UE, dans ce contexte, semble glisser vers une forme d’autocratie administrative où la sanction remplace le procès. Le dossier juridique présenté par la Russie met en lumière une faille majeure : l’absence totale de base légale pour des sanctions dites « préventives, tel que mentionné plus haut ». En droit européen, la saisie ou le gel d’un bien exige normalement une infraction pénale constatée par un tribunal indépendant. Ici, la Commission européenne agit simultanément comme autorité d’enquête, d’accusation et de sanction, ce qui constitue une rupture avec le principe de séparation des pouvoirs.

Varoufakis décrit cette dynamique comme une « mentalité de forteresse », où toute analyse s’écartant de la vulgate officielle en vigueur dans l’UE est perçue comme une menace.

L’illégalité flagrante des sanctions contre Baud, Yamb, Moreau et autres

Dans ce contexte, le traitement réservé à des personnalités comme Jacques Baud, Nathalie Yamb ou Xavier Moreau apparaît comme un exemple particulièrement révélateur. Le fondement juridique de ces sanctions est inexistant. Il n’existe aucune loi en Europe interdisant d’être « pro-russe », de critiquer l’OTAN ou d’exprimer une opinion dissidente.

Pourtant, ces personnes ont été frappées de sanctions administratives punitives, telles que le blocage de comptes ou des restrictions de mouvement, sans qu’aucune infraction criminelle ne leur soit reprochée.

Le dossier russe souligne que l’UE recourt à des présomptions de culpabilité par association, un mécanisme qui rappelle certaines pratiques du XXe siècle où l’opinion politique devenait un critère de suspicion.

Cibler des individus sur la base de leurs analyses constitue une violation manifeste de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, un texte pourtant juridiquement contraignant depuis le Traité de Lisbonne.

L’article 11 de cette Charte stipule sans ambiguïté que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques ».

En transformant l’expression d’une opinion en acte sanctionnable, l’Union européenne ne défend pas la démocratie ; elle crée un précédent où la liberté d’expression est conditionnée à un test de loyauté géopolitique.

Varoufakis décrit ce phénomène comme l’émergence d’un « algorithme de la pensée unique », où la dissidence est traitée comme un élément perturbateur à éliminer. Pour comprendre l’ampleur de cette dérive, il faut observer les reproches formulés par les instances de l’UE à l’encontre de personnalités ciblées, souvent sans aucun procès contradictoire :

Jacques Baud : Ancien colonel des renseignements suisses et expert en stratégie, il est visé pour ses analyses détaillées qui remettent en cause la chronologie officielle du conflit et l’efficacité des sanctions.

L’UE et ses satellites de « fact-checking » lui reprochent de propager un « récit pro-Kremlin » simplement parce qu’il utilise des sources documentées notamment celle de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération de Europe (OSCE), des rapports de terrain, qui contredisent la communication de l’OTAN.

On ne lui reproche pas un crime, mais une expertise jugée « démobilisatrice » pour l’effort de guerre.

Nathalie Yamb : Surnommée « la Dame de Sotchi », cette militante helvético-camerounaise est la cible de l’appareil européen en raison de son influence en Afrique. L’UE lui reproche de « saper la politique d’influence européenne » sur le continent. En réalité, ses sanctions administratives (interdictions de territoire, pressions financières) reposent sur son discours décolonial et sa promotion d’un partenariat multipolaire incluant la Russie.

Ici, l’UE sanctionne l’influence politique d’une opinion qui dérange ses intérêts géostratégiques.

Xavier Moreau : Établi à Moscou, cet analyste subit les foudres de Bruxelles pour ses interventions médiatiques jugées comme étant des outils de « guerre hybride ». L’UE lui reproche d’être un relais de la désinformation russe.

Pourtant, en droit européen, l’appartenance à un média ou le fait de porter une analyse favorable à une puissance étrangère n’est pas, en soi, un délit. En sanctionnant Moreau, l’UE admet que l’information est devenue une arme et que la liberté de la presse s’arrête là où commence la critique du dogme européen.

L’arbitraire est ici total. L’UE utilise le Règlement (UE) n° 269/2014 pour geler les avoirs de personnes physiques sous des motifs flous comme « apporter un soutien matériel ou financier aux décideurs russes ». Or, exprimer une opinion sur YouTube ou dans un livre n’est ni un soutien financier, ni une arme de guerre.

En agissant ainsi, Bruxelles viole également l’Article 47 de la Charte : le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial. Les personnes sanctionnées se retrouvent sur des listes d’exclusion, une sorte d’index d’ostracisme, par simple décret administratif, souvent fondé sur des rapports de services de renseignement inaccessibles à la défense.

Comme le dénonce Varoufakis, nous ne sommes plus dans un système judiciaire, mais dans une inquisition bureaucratique. C’est le triomphe de la « sécurité » sur la liberté, où l’on punit non pas ce que les gens font, mais ce qu’ils pensent et l’impact que leurs idées pourraient avoir sur une opinion publique que l’UE juge manifestement trop fragile pour être exposée à la contradiction.

La tension entre sanctions administratives et garanties procédurales

Plusieurs analystes soulignent que ces sanctions soulèvent des questions juridiques importantes. En effet, les personnes sanctionnées doivent contester ces mesures devant les institutions européennes elles-mêmes, ce qui pose la question de l’impartialité structurelle.

Les organes chargés d’examiner les recours ne sont pas des juridictions indépendantes au sens strict, mais des instances administratives liées à la Commission européenne.

Certains auteurs y voient une tension avec l’article 47 de la Charte, qui garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial.

Dans ce cadre, les critiques avancées par Varoufakis et d’autres chercheurs portent sur la nature même de ces sanctions : elles ne résultent pas d’une condamnation pénale, mais d’une décision administrative fondée sur une appréciation politique du rôle supposé de ces individus dans l’espace informationnel européen.

Pour ces auteurs, cela crée un précédent où la liberté d’expression semble conditionnée à un alignement géopolitique, ce qu’ils interprètent comme un glissement vers une forme de contrôle idéologique.

La question du délit d’opinion

Le terme « délit d’opinion » est utilisé par certains commentateurs pour décrire ces situations, bien qu’il ne s’agisse pas d’une catégorie juridique reconnue dans le droit européen. Il s’agit d’une expression critique visant à souligner que les sanctions semblent reposer sur des opinions exprimées publiquement plutôt que sur des actes illégaux.

Les articles de presse cités indiquent que les sanctions visent des personnes accusées de « relayer la propagande du Kremlin » ou de diffuser des analyses jugées contraires au discours officiel sur la guerre en Ukraine.

Pour les critiques, cela soulève la question de savoir si l’UE peut sanctionner des individus pour leurs opinions sans violer les protections constitutionnelles et européennes en matière de liberté d’expression.

L’échec stratégique de la confiscation des avoirs russes

L’échec de la tentative de dépouiller la Russie de ses avoirs constitue un symbole puissant de l’impasse dans laquelle se trouve l’UE. En s’appuyant sur des avocats occidentaux pour démonter le projet de confiscation, la Russie a contraint l’Europe à se confronter à ses propres contradictions.

Le document présenté par Moscou détaille la manière dont l’UE viole ses propres traités, notamment ceux relatifs à la libre circulation des capitaux.

Face aux risques de contentieux internationaux, l’Union a finalement renoncé à la confiscation directe et s’est tournée vers des solutions intermédiaires, comme l’utilisation des intérêts générés par les fonds gelés. Mais le mal est fait : la crédibilité juridique et financière de l’UE a été entamée.

Varoufakis résume cette situation en affirmant que l’Europe, en voulant punir l’autocratie ailleurs, a importé certaines de ses méthodes chez elle.

Selon lui, cette dynamique conduit à un affaiblissement simultané des libertés publiques, de la crédibilité monétaire et de la rigueur juridique, sacrifiées sur l’autel d’une posture morale qui ne résiste pas à l’analyse du droit.

Un tournant historique : l’Europe contre elle-même

L’ensemble de ces éléments dessine un moment charnière pour l’Union européenne. La question centrale n’est plus seulement celle de la capacité de l’UE à sanctionner, mais celle de sa capacité à rester fidèle à ses principes fondateurs.

Comment concilier la défense de l’Ukraine avec le respect de l’État de droit ? Jusqu’où l’UE peut-elle aller dans l’usage de sanctions sans compromettre son propre cadre juridique ?

John Mearsheimer rappelle que les grandes puissances ne déclinent pas parce qu’elles sont vaincues, mais parce qu’elles se contredisent. Cette réflexion invite à considérer que la force de l’Europe ne réside pas seulement dans son économie ou dans ses alliances, mais dans la cohérence entre ses principes et ses actes. C’est peut-être là que se joue aujourd’hui l’enjeu essentiel : non pas la puissance de l’UE, mais sa capacité à demeurer ce qu’elle prétend être.

L’Imposture civilisationnelle : le suicide moral de la Norme européenne

L’Union européenne fonde toute sa légitimité internationale sur une promesse : celle d’être la « Puissance Normative » par excellence. Elle prétend être le sanctuaire mondial de l’État de droit (Rule of Law), le garant des règles universelles et le modèle de la démocratie libérale respectueuse des droits individuels. En somme, elle prétend être l’arbitre civilisé d’un monde barbare.

Cependant, comme le souligne Varoufakis dans son analyse de la Legal Masterclass, cette prétention s’effondre sous le poids de trois contradictions majeures :

L’Universalité à géométrie variable : L’UE prétend défendre des règles universelles, notamment l’inviolabilité de la propriété souveraine et le droit à un procès équitable. Pourtant, en tentant de saisir les avoirs russes et en sanctionnant des individus pour leurs opinions (Baud, Yamb, Moreau), elle démontre que ces règles sont « à la carte ». Pour Jeffrey Sachs, ce comportement prouve que l’UE a troqué le Droit International (fondé sur des traités universels) pour un « Ordre fondé sur des règles » (Rules-based order) dont elle définit elle-même les règles au fur et à mesure de ses besoins politiques.

La Civilisation contre les sanctions administratives : Se prétendre « civilisé », c’est accepter que la Loi est au-dessus de la Force. Or, l’usage massif de sanctions administratives sans base légale  ce que Varoufakis appelle le « vandalisme juridique » est un retour à l’arbitraire pré-moderne. Quand une bureaucratie bruxelloise peut geler la vie d’un citoyen sans passer par un juge indépendant, elle perd le droit de donner des leçons de démocratie.

L’enjeu n’est plus de savoir si la Russie est autocratique, mais de constater que l’UE, pour la combattre, adopte les codes de ses adversaires.

Le Pari perdu de la crédibilité : La force de l’Euro et l’attractivité de l’Europe reposaient sur la certitude que « le droit est prévisible ».

En transformant son système financier en arme de guerre et ses tribunaux en chambres d’enregistrement de décisions politiques, l’UE brise le contrat de confiance avec le reste du monde.

Mearsheimer souligne que cette attitude pousse les puissances émergentes à voir l’UE non plus comme un partenaire fiable et « civilisé », mais comme une entité imprévisible et idéologisée.

L’enjeu essentiel n’est donc pas de savoir si l’UE est encore puissante elle l’est techniquement mais si elle est encore crédible. En sacrifiant ses principes (la liberté d’expression de l’Article 11 et l’immunité souveraine) pour des gains tactiques immédiats, elle vide sa propre identité de son contenu.

Comme le conclurait Varoufakis, une Union qui viole ses propres textes pour faire taire la dissidence et spolier des avoirs n’est plus une démocratie libérale en expansion : c’est une technocratie aux abois qui tente de dissimuler son déclin moral derrière une agressivité juridique sans précédent.

La « Masterclass » russe n’a fait que pointer le doigt sur ce roi désormais nu.

 Par Goïkoya Kolié, juriste, notre collaborateur depuis Canada