Affaire Djiba Diakité : faut-il maîtriser le français de l’académie pour servir la Guinée ?

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Depuis le lancement historique du projet Simandou ce mardi 11 novembre, les réseaux sociaux guinéens bruissent de moqueries à l’endroit de Djiba Diakité, ministre directeur de cabinet à la présidence et président du comité stratégique de ce projet à 20 milliards de dollars. Sa « faute » ? Avoir commis des erreurs de prononciation lors de son discours.

Cette vague de railleries, aussi virale soit-elle, mérite d’être remise en perspective.

L’histoire politique mondiale regorge d’exemples de dirigeants brillants ayant connu des difficultés oratoires similaires, sans que cela n’entache leur compétence ni leurs réalisations. Il est temps de rappeler une vérité fondamentale : l’éloquence n’est pas synonyme de compétence.

La République française, patrie de Molière et championne autoproclamée de la langue de Voltaire, n’est pas en reste.

Rachida Dati, ancienne ministre de la Justice et actuelle maire du 7ᵉ arrondissement de Paris, a marqué l’histoire politique française le 26 septembre 2010 en confondant « inflation » et « fellation » sur le plateau de l’émission Dimanche+.

Elle a également parlé du « Gode constitutionnel » au lieu du « Code constitutionnel ». Ces lapsus, devenus légendaires, ne l’ont pas empêchée de poursuivre une brillante carrière politique.

Ségolène Royal, candidate socialiste à l’élection présidentielle de 2007 et plusieurs fois ministre.

En 2012, elle a lu « Le projet socialiste est extrêmement « vague » alors qu’elle devrait dire  » Le projet socialiste est extrêmement « vaste« ,  un lapsus révélateur qui n’a pourtant pas mis fin à sa carrière ni lui traiter d’incompétence.

Jean-Marie Le Pen, figure historique de la politique française, s’est prononcé en 1984 pour le « rétablissement de la « pine » de mort » au lieu de « peine de mort » lors de l’émission L’Heure de vérité. Un lapsus grossier qui n’a pas impacté sa longévité politique exceptionnelle.

Les exemples sont nombreux tant en Afrique qu’ailleurs.

Rappelons ce que Djiba Diakité a réellement accompli en tant que président du comité stratégique de Simandou :

– Coordination d’un projet de 20 milliards de dollars, l’un des plus grands projets miniers au monde

– Négociation avec des multinationales comme Rio Tinto, Chinalco, Baowu et le Winning Consortium Simandou

– Supervision de la constructiond’un chemin de fer de 650 kilomètres à double voie

– Développement d’infrastructures portuaires à Moribaya

– Création de plus de 20 000 emplois directs et indirects

– Mise en place d’une production visée de 120 millions de tonnes de minerai par an

Ces réalisations exigent des compétences en gestion de projet, négociation internationale, ingénierie, finance, diplomatie et vision stratégique. La capacité à prononcer parfaitement un mot français n’est pas un prérequis pour exceller dans ces domaines.

Djiba Diakité, comme la plupart des Guinéens, est probablement plurilingue.

Il maîtrise sans doute certaines langues comme  le soussou, le malinké ou le poular en plus du français. Ce multilinguisme, loin d’être une faiblesse, est une richesse. Le fait que le français soit une langue seconde ou tierce explique naturellement certaines difficultés de prononciation sans refléter une quelconque incompétence intellectuelle.

Alors, exiger d’un Guinéen qu’il prononce le français avec la perfection d’un académicien parisien, c’est perpétuer l’idée que la légitimité intellectuelle doit se mesurer à travers une langue héritée de la colonisation. Ce type de jugement est appelé dans la littérature africaine:  » le complexe du colonisé ».

Un constat s’impose dans le paysage intellectuel guinéen : nombreux sont les orateurs à l’éloquence captivante qui peinent pourtant à rédiger un chapitre de texte sans commettre de fautes graves. Ou monter, suivre et réaliser un projet de dimension nationale comme l’a fait M. Djiba Diakité avec Simandou.

Ce paradoxe démontre que l’intelligence, la pertinence de la pensée et la capacité d’analyse ne se mesurent ni à l’oralité parfaite, ni à l’écriture impeccable.

Si nous voulons évaluer Djiba Diakité objectivement, posons-nous les vraies questions :

A-t-il mené le projet Simandou à son terme ?Oui. Le lancement du 11 novembre 2025 marque l’aboutissement d’années de travail.

Les infrastructures promises sont-elles livrées ?

Oui. Le chemin de fer de 650 km, le port de Moribaya sont opérationnels.

Les partenaires internationaux sont-ils satisfaits ?

Oui. La présence de Rio Tinto, Chinalco et des autres acteurs lors du lancement en témoigne.

Le projet crée-t-il de la valeur pour la Guinée ?Avec 120 millions de tonnes de minerai prévues par an et plus de 20 000 emplois, la réponse est indubitablement oui.

A-t-il respecté les directives présidentielles ?

Selon ses propres propos, le Président Mamadi Doumbouya lui a dit : « Simandou, c’est un bijou pour nous. Si ce n’est pas réalisé comme convenu dans les documents, je vous le reprendrai. » Le fait que le projet soit lancé indique qu’il a tenu ses engagements.

Voilà les véritables indicateurs de compétence. Pas la prononciation parfaite des mots que n’avons hérité ni de la lignée maternelle ni de la lignée paternelle.

Si l’on juge la compétence d’un haut commis de l’État de la maîtrise linguistique, alors une grande partie de l’élite guinéenne devrait être disqualifiée. Or, ce n’est ni souhaitable, ni juste, ni rationnel.

Minkael Barry 

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