Avant-projet de la Constitution : Aspects à saluer, réserves et propositions

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Dans une première tribune, nous avions abordé l’examen des aspects normatifs et institutionnels reconnaissant les droits de l’homme et encadrant leur exercice en Guinée, sous le titre de « Les Droits de l’Homme en Guinée : Que prévoit l’Avant-Projet de la Constitution ? », tribune parue le 8 août. Nous avions observé qu’il s’agissait d’un commentaire sur la présentation du texte et non sur le texte lui-même.

 

 

A l’instar d’autres observateurs, nous avions vivement recommandé, à même ladite tribune, au législateur de la transition, de procéder à la publication du texte consolidé et complet de l’avant-projet constitutionnel, publication, avions-nous indiqué, qui est « est de nature à participer à sa vulgarisation avant terme et à donner au citoyen lambda comme au haut fonctionnaire, le sentiment de poser sa brique à l’édification de notre Case Commune Guinée. Nous pensons être entendu sur ce point par le législateur de la transition. C’est notre recommandation pour une large et légitime appropriation de notre future constitution ».Hasard du calendrier, simple coïncidence ou autres facteurs ? Toujours est-il qu’on peut dire que l’appel a été entendu. Nous avons à présent, sous les yeux, l’avant-projet de texte constitutionnel de la Guinée. Nous poursuivons cette fois, sur une lecture des autres parties de l’avant-projet, en ayant pour base le texte rendu publique le 9 aout 2024.

 

 

Ainsi, dans la présente tribune (elle est également un peu longue comme la précédente ; que nos aimables lectrices et lecteurs nous en excusent, nous n’en ferons pas l’habitude), à travers la lecture de l’Avant-projet de constitution, exception faite aux droits de l’homme ayant fait objet de la tribune précédente, nous verrons successivement les innovations à saluer, les réserves à émettre et des propositions à faire sur certaines dispositions de cette charte fondamentale devant régir la marche de notre pays vers le processus démocratique.

 

 

Des dispositions relatives à l’Etat et à la souveraineté

 

 

Plusieurs dispositions concernent l’Etat et la souveraineté du pays. Pour la majorité, elles sont identiques aux dispositions figurant dans les constitutions antérieures. Il s’agit, entre autres, premièrement de : « L’affirmation de la forme républicaine, unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale de l’Etat indépendant et souverain de Guinée » (art. 1er de l’Avant-projet de Constitution, toutes les autres dispositions citées se réfèrent à ce texte sauf mention contraire). C’est le sens d’un Etat de droit dans le cadre de la démocratie que nous appelons de tous nos vœux.

 

 

Deuxièmement, elles concernent « La désignation du peuple en tant que titulaire de la souveraineté et la déclinaison des modes direct et indirect de son exercice. » (Art.3). Ici, il faut insister sur l’exercice de ce droit par le peuple de la base au sommet. Il faut exclure la désignation des responsables au niveau local par les représentants de l’Etat à l’instar de la nomination des conseils et responsables de quartier et de district par les gouverneurs. C’est un recul qu’il faut corriger à présent.

 

 

De l’importance de l’instruction civique du peuple et de l’éducation aux droits humains et au processus démocratique

 

 

La démocratie est culture ; le respect des droits humains aussi. L’ajout de l’instruction civique du peuple dans les principes de gouvernance est positif. Il faudrait peut-être désigner les autorités responsables de sa mise en œuvre ainsi que les mesures concrètes pour atteindre cet objectif. A l’éducation civique du peuple, il est de bon ton d’insister sur l’éducation aux droits humains et au processus démocratique. Le respect des droits humains dépend beaucoup de la connaissance des titulaires de leurs droits et des acteurs de leur mission en ce domaine. Tout comme l’avènement et l’enracinement de la démocratie dépendent de la maîtrise de ses préceptes et principes par le peuple.

 

 

De la reconnaissance de la posture nationale des partis politiques, de la nécessité d’appliquer la Charte des partis politiques et de l’intérêt d’éviter le risque de leur diabolisation

 

 

Le rappel de la posture nationale des partis politique est à saluer. Cependant, il y a un risque de diabolisation des partis politiques avec tout le discours ambiant. Nous proposons un encadrement et un suivi régulier du fonctionnement et de la vie des partis politiques, sous le contrôle du juge. Cela est de nature à assainir la vie politique nationale en ne gardant que de partis viables et solidement implantés, non de groupuscules qui se regroupent en coalitions circonstancielles et polluent le climat politique du pays.

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De l’intérêt des candidatures indépendantes et de la nécessité de leur encadrement pour éviter que le fait politique ne tombe sur des intérêts ou autres lobbys d’argent et autres groupes de pression sans assise populaire

 

 

Les candidatures sont une demande constante de la population. Elle est fondée. Elle permet aux personnes qui ne souhaitent pas être dans un parti politique de compétir aux suffrages électoraux en vue d’apporter leur contribution à l’édifice national. Cependant, l’ouverture vers des candidatures indépendantes n’est pas dénuée de risques : pouvoirs d’argent, gourous et autres groupes criminels organisés et autres groupes de pression. Le passé nous l’enseigne de leurs méfaits ainsi que de leurs bienfaits lors des premières consultations électorales notamment communales. Nous proposons un strict encadrement des candidatures indépendantes. Le parrainage par des électeurs est un premier pas qui va dans ce sens. Il faudrait ajouter d’autres critères comme la moralité, l’absence de sanctions pénales d’un certain degré, les questions de financement, de résidence et autres, de manière à opérer un filtrage conséquent des postulants.

 

 

 

De la haute importance de la promotion des langues nationales (notamment de la traduction des textes de lois et des actes officiels)

 

 

L’usage des langues nationales est d’une importance capitale. Nous saluons l’importance accordée aux langues nationales et leur inscription dans le texte constitutionnel. Son inscription dans l’avant-projet de constitution est vraiment à saluer d’autant plus une telle inscription les range au niveau des priorités constitutionnelles. Nous proposons l’adoption des modalités pratiques de l’usage des langues nationales notamment au sein de l’enseignement primaire.

 

 

Pour le durcissement des sanctions attachés à la violation de certains principes fondamentaux de la République

 

 

Plusieurs principes fondamentaux ont fait l’objet de mention dans l’avant-projet de constitution. En raison du peu de respect du bien public par la population et surtout des dirigeants du pays, l’insistance sur « l’inviolabilité du patrimoine national, des symboles et biens de l’Etat » est salutaire. Il en est de même pour la préservation de l’environnement. Il en va aussi de même du bien-fondé de l’inclusion de « la gestion rationnelle, transparente et équitable des ressources naturelles pour le bien des populations à tous les niveaux ». L’inscription de la prise en compte du contenu local dans tous les domaines est aussi salutaire. Même si une constitution n’a pas vocation à tout régir dans les détails, il serait intéressant de ranger les atteintes à ces principes fondamentaux de l’Etat parmi les crimes les plus graves avec de lourdes sanctions correspondantes. Une criminalisation des atteintes à ces principes à même la Constitution pourrait avoir un effet dissuasif.

 

 

 

De l’importance de la prise en compte de la participation des Guinéens établis à l’étranger au développement national

 

 

C’est un aspect positif de prendre en compte la diaspora guinéenne et de tenir compte de sa représentativité. Il faut prévoir des modalités pratiques de la participation de la riche et diverse diaspora guinéenne à l’effort national de développement : on peut considérer les zones des Guinéens établis à l’étranger comme la 8è région du pays et procéder à un découpage de ces zones en diverses circonscriptions électorales, en plus des autres régions administratives du pays. On peut pousser loin cette représentativité de la diaspora guinéenne en conservant des quotas dans toutes les institutions administratives et politiques du pays. Bien évidemment, cette contribution de la diaspora guinéenne à l’effort national va de pair avec les facilités d’obtention des documents légaux comme tout Guinéen par ses membres ; pour avoir longtemps vécu à l’étranger, nous pouvons témoigner des tracasseries insurmontables et le sentiment d’être un citoyen de seconde catégorie des Guinéens établis à l’étranger, aspect qu’il importe de corriger.

 

 

 

Réserve sur le risque de dilution des compétences de la Commission nationale d’éducation civique et des droits de l’homme et proposition de revenir sur les canons traditionnels d’une institution respectueuse des Principes Nations Unies (Principes de Paris sur les INDH)

 

 

Nous reprenons textuellement ici la réserve précédemment émise sur la Commission nationale de l’éducation civique et des droits de l’homme. Nous émettons des sérieuses réserves sur l’adjonction « éducation civique » aux droits de l’homme pour cette importante institution nationale. Le risque de dilution des réelles missions de promotion et de protection des droits humains dans des tâches floues d’éducation civique est très grande. Notre proposition est la mise en conformité de notre Institution Nationale des Droits de l’Homme selon les normes des Nations Unies. Ainsi, plaidons-nous pour le maintien d’une « Commission Nationale des Droits de l’Homme », dans la tradition d’une Institution Nationale des Droits Humains (INDH) qui est un organe par lequel l’Etat se donne ressources et moyens pour remplir sa mission de garantir le respect des droits humains. Par le passé, cette institution a eu des difficultés nées de son absence de conformité avec les canons traditionnels d’une institution dont les normes et principes sont définis par les Nations Unies, à travers les Principes de Paris. Ces principes, qui portent le nom de leur lieu d’adoption par les Nations Unies comme de coutume, sont un ensemble de règles permettant à ces institutions de s’acquitter convenablement de leur mission sans interférence de l’Etat, le plus important d’entre eux est que les membres provenant des organes de l’Etat ne doivent pas être majoritaires dans sa composition et doivent avoir une voix consultative lors de ses travaux.

 

 

De l’exécutif en Guinée (Président de la République, Premier ministre et Gouvernement)

 

 

Nous reconnaissons l’effort des rédacteurs de l’Avant-projet de constitution dans la recherche d’une formule portant sur un régime politique qui sied à la Guinée (art 43 et suivants). Nous-mêmes avions proposé le régime présidentiel harmonisé dans d’autres tribunes. Cependant, force nous est revenu de constater qu’il faudrait peut-être opter pour un régime présidentiel en Guinée, un régime qui fait du Président de la République le véritable chef de l’Exécutif sans empiètement sur le pouvoir législatif. En véritable chef du gouvernement, le Président de la République nomme le Premier ministre et les membres du gouvernement qui agissent sous son autorité et sous sa responsabilité. C’est bien le sens de l’article 87. L’idée de voir le Premier ministre nommer aux emplois civils (art.84) est une simple hérésie et a le don d’ajouter la cacophonie dans le régime proposé.

 

 

Le véritable pouvoir du Premier ministre est celui qui figure à l’article 86, à titre d’impulsion de la cohérence de l’action de l’administration centrale, entre autres. L’effort de l’Avant-projet de faire une prééminence du Premier ministre sur les autres ministres est salutaire, il est de nature à éviter une cacophonie au sommet de l’Etat, mais un tel Premier ministre restera Primus inter pares, le Premier des ministres (art.88). Il coordonne l’action des membres du Gouvernement. Il faudrait encadrer les pouvoirs du Président de la République dans le cadre d’un régime présidentiel équilibré pour éviter de tomber sous le régime présidentialiste connu jusque-là et qui consacre de droit ou de fait l’hégémonie du Président sur tous les autres pouvoirs. Il n’est pas utile ici de rappeler l’instabilité qui caractérise le régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire encore moins la nécessite de collaboration dans un régime parlementaire.

 

 

 

De l’intérêt d’essayer un Parlement bicaméral et de la nécessité de distinguer les deux chambres du point pouvoirs et domaines de compétence de manière à avoir une chambre haute et une chambre basse

 

 

La Guinée a toujours connu un parlement monocaméral. La proposition d’un parlement bicaméral présente un grand intérêt. En plus de la représentation du peuple, on pourrait avoir des représentations des grands équilibres régionaux, professionnels et autres. Cependant, nous avons des réserves sur certains aspects de cette intéressante innovation. Premièrement, il faut déterminer à même la constitution le nombre de membres des deux chambres, ceci est de nature à éviter un nombre pléthorique de représentants.

grevant le budget de l’Etat et surtout être à la merci de la majorité présidentielle du moment. Deuxièmement, il faut assurer une distinction nette entre les deux chambres du point de vue de leurs pouvoirs et de leurs domaines de compétence, établir leurs compétences partagées et définir clairement la nature de leurs relations.

 

 

L’idéal serait de considérer le Sénat comme la chambre haute et l’Assemblée nationale la chambre basse avec les effets qui vont avec. Au Sénat, chambre haute et garante des divers équilibres du pays, sera réservée exclusivement l’approbation de la nomination à des hautes fonctions de l’exécutif, à la ratification des traités internationaux et l’engagement de l’Etat dans les conflits armés, entre autres.

 

 

A l’Assemblée nationale, chambre basse et venant de la population, pourrait être exclusivement réservée certains domaines touchant directement à cette direction ; il pourrait s’agir notamment des propositions des lois sur le budget, les impôts et autres charges publiques. Troisièmement, une fois pour toutes, il faut faire en sorte que le parlement ne soit pas un simple espace d’enregistrement mais un enclos doté de pouvoirs capables de contrôler l’action du gouvernement. Enfin, il faut faire en sorte que le Sénat ne soit pas un lieu de garage pour récompenser copains et autres anciens commis de l’Etat. Quatrièmement, il faudrait mentionner clairement le nombre de députés et de sénateurs composant les deux chambres du pouvoir législatif.

 

 

 

Du rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Guinée

 

 

Le principe de séparation des pouvoirs, si cardinal soit-il, ne s’oppose pas à la collaboration équilibrée entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Ici également, on note des efforts des rédacteurs dans la recherche de cet équilibre ; cependant, force est de constater que le déséquilibre entre eux est persistant, en faveur de l’Exécutif. En optant pour le régime présidentiel, avec ses caractéristiques essentielles dont l’absence de la possibilité pour le Président de la République de dissoudre les organes du pouvoir législatif et l’impossibilité de ces derniers à engager la responsabilité de l’exécutif, on peut obtenir un régime équilibré, capable de collaborer mutuellement pour la gestion du pays. L’harmonisation de ce régime tiendrait au maintien de la dissolution de l’une des chambres en l’occurrence l’Assemblée par le Président de la République et la possibilité pour les organes du pouvoir législatif de mettre en mouvement l’accusation de haute trahison du Président de la République et des membres de son gouvernement.

 

 

Du pouvoir judiciaire en général et de l’indépendance de la justice en particulier

 

 

Nous reconduisions ici nos propos sur la justice en Guinée telle que rappelée dans notre dernière tribune sur les droits humains. Le pouvoir judiciaire est incarné par les cours et tribunaux. C’est le garant traditionnel des droits humains et de l’équilibre entre les autres institutions. La Cour constitutionnelle a compétence sur le champ des droits humains. Il serait intéressant d’ouvrir la saisine directe aux particuliers pour les violations des droits humains comme le fait éloquemment le Bénin, avec sa Cour constitutionnelle et son abondante jurisprudence en la matière.

 

 

La Cour suprême garde la compétence sur la légalité des actes administratifs sous ses différentes variantes et sous certaines réserves. Il serait temps de simplifier la procédure devant cette institution jouant le rôle de cassation dans notre pays.

 

 

La mise en place de la Cour spéciale de justice de la République et surtout les mécanismes de sa mise en œuvre dès les premières heures de l’installation des organes du pouvoir législatif est une excellente trouvaille des rédacteurs de l’Avant-projet de constitution (art.67). Ici, on a tenu compte du refus de l’Exécutif précédent de rendre opérationnel cette institution nécessaire.

 

 

La reconduction de la Cour des comptes à titre de « l’institution supérieure de contrôle à postériori des finances publiques » (art.162) dans l’Avant-projet de constitution est intéressante. Cette institution importante semble souvent laissée pour compte dans le dispositif tant normatif qu’institutionnel. Il en va de même d’ailleurs sur la carte judiciaire, elle devrait se multiplier en chambres régionales de compte pour couvrir toute l’étendue du territoire national. Ne pourrait-on pas confier à une telle institution le contrôle des finances des partis politiques lorsqu’ils reçoivent le concours financier de l’Etat ?

 

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature joue un rôle essentiel dans la protection des droits humains en garantissant l’indépendance des juges. Il serait intéressant que sa composition puisse être revue de manière à inclure même des citoyens justiciables suivant les modalités qui pourraient être définies. Il faudrait rendre obligatoire, à même la constitution, son avis pour tout acte concernant la carrière des Magistrats en vue de garantir leur indépendance contre les immixtions et autres représailles de l’Exécutif. Il demeure indéniable que le juge ordinaire est le premier garant des droits humains.

 

 

De l’encadrement des institutions d’appui avec des suppressions à opérer et de reformulation à faire et un ajout à effectuer tout en évitant la pléthore ou l’inflation institutionnelle

 

 

Parmi les institutions dont nous prônons la suppression, figure la Commission Nationale pour le Développement. Outre qu’elle fera du surplace, on se demande si son rôle ne pourrait pas adéquatement être joué par des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat dédiées au plan et au développement ? De telles commissions ont la latitude de faire appel à l’ensemble des membres pressentis à la meubler. A notre avis, cette institution est simplement budgétivore et inutile. Elle mériterait de ce fait, suppression.

 

 

La Commission nationale de l’éducation civique et des droits de l’homme, comme nous l’avons indiqué ci-haut et ailleurs, à maintes reprises, mérite reformulation tant dans son titre que dans ses compétences pour se recentrer sur les droits de l’homme et porter le nom de « Commission nationale indépendante des droits de l’homme ». L’institution aura pour rôle de veiller, sur toute l’étendue du territoire national, au respect des droits humains, en application des droits et principes constitutionnellement reconnus à l’individu, des traités internationaux ratifiés par la Guinée, des législations nationales en la matière. Elle sera un organe de veille et de contrôle du respect des droits humains par les pouvoirs publics en toute indépendance en procédant à des consultations, des observations, des études, des évaluations, des investigations et autres dialogues et concertations.

 

 

Nous saluons l’idée de création d’un Organe Technique Indépendant en Charge de la Gestion des Elections, organe technique et administratif de la gestion des élections, nous l’avions suggéré à plusieurs reprises également. Il est temps d’essayer une administration électorale dépouillée des contingences politiques, pour autant que les autorités rassurent tous les acteurs de son indépendance. Ainsi, en Guinée, on aura un organe pérenne, indépendante et autonome en charge des consultations diverses et des élections générales. En lieu et place du qualificatif « Organe Technique Indépendant en Charge de la Gestion des Elections », on pourrait simplement la nommer « Direction générale des élections », « Autorité nationale des élections » ou « Office national des élections ».

 

 

Pour la Commission de Régulation des Communications et de l’Audiovisuel, il est venu le temps de se pencher sur cette institution dont l’histoire est jalonnée des heures de gloire et d’autres moins glorieuses. Parfois, elle joue son rôle de régulation, d’autres, elle sert d’appui aux mains des gouvernants contre la liberté de presse dont elle est censée protéger et réguler. Nous suggérons qu’on revoie les catégories de membres qui la composent et qu’on accroisse son indépendance vis-à-vis de l’exécutif tant du point organique, budgétaire et autres. Dotée de pouvoirs de régulation et de décision, l’institution se doit être indépendante de tout pouvoir politique et de tout groupe de pression (parti politique, association et autres). Son rôle est d’assurer l’exercice de la liberté d’expression et l’égal accès pour toutes et tous aux médias, dans le strict respect des législations en vigueur en Guinée.

 

 

 

Nous proposons l’ajout d’une Haute autorité en charge de la bonne gouvernance. Elle pourrait être une autorité indépendante et à l’abri de tout pouvoir politique, de parti politique, d’association ou de groupe de pression ; sa composition, son organisation et son fonctionnement seront précisés par la loi. Elle aura comme mandat de veiller à la représentativité de toutes les parties du pays et de toutes les couches de la population, de manière équitable, dans les institutions publiques et parapubliques de l’Etat. Elle sera aussi en charge de veiller contre la gestion familiale, clanique, patrimoniale, privée et partisane de la chose publique qui appartient à tous les citoyens de la Guinée. Elle sera en charge des politiques d’inclusion des minorités, des personnes vivant avec le handicap et autres catégories vulnérables. Elle sera garante du respect du principe d’égalité entre homme et femme. Elle sera chargée d’assurer la protection du patrimoine national (biens publics, mines, terres arables, …) et de veiller à la transparence dans l’exploitation et la gestion des ressources naturelles et de la redistribution équitable des produits qu’elles génèrent au profit de toutes et tous. Enfin, elle pourra attirer l’attention des autorités publiques dans les domaines relevant de sa compétence que dessus et faire des propositions idoines et appropriés. Nous saluons la suppression du Conseil économique, social, culturel et environnemental.

 

 

De l’encadrement accru des autorités administratives indépendantes

 

 

Dans un passé récent, on a connu la multiplication des autorités administratives indépendantes, parfois de manière fantaisiste, sans aucune nécessité, sauf peut-être de caser quelques pontes du parti ou autres. Fort heureusement, un audit a permis de déceler les affres de ces institutions souvent doublons de l’administration générale et gloutonne en ressources financières. C’est l’occasion d’encadrer leurs créations par la loi suivant un exposé justificatif cohérent et l’obligation d’atteintes d’objectifs sous peine de suppression.

 

 

Du renforcement du caractère apolitique de l’administration

 

 

En dépit de la proclamation de son caractère apolitique, l’administration guinéenne est toujours restée inféodée aux politiques. Il serait intéressant de trouver les formules nécessaires pour encadrer l’administration et mettre les fonctionnaires et autres agents de l’Etat à l’abri des pressions politiques. Parmi ses modalités, on pourrait explorer l’institutionnalisation de sous-ministres techniques, interdire l’usage des ressources humaines, matérielles et financières de l’Etat dans les activités partisanes notamment lors des campagnes électorales assorties de sanctions sévères.

 

 

Pour la simplification de l’organisation territoriale en évitant le cafouillage sémantique

 

 

Ce qui est simple a le don d’être facilement compris. Il faut éviter le cafouillage au niveau des nomenclatures. Il faut aller vers la simplification tant au niveau de la déconcentration que de la décentralisation.

 

 

Au niveau de la déconcentration, il a été bien de conserver les circonscriptions territoriales suivantes : régions, préfectures et sous-préfectures (art. 187, al.3). Ainsi les régions continueront alors à être les 7 régions actuelles et Conakry ; à des fins purement symboliques de circonscriptions électorales, la région externe du pays où s’établit la diaspora guinéenne sera considérée comme la dernière des régions.

 

 

Au niveau de la décentralisation, il est indiqué deux types de collectivités décentralisées : les provinces et les communes (art.187, al.4). A notre avis, l’appellation « Province » devrait disparaitre pour ne pas se confondre à la région. Comme l’appellation « Régions naturelles » devrait être laissé dans le langage ordinaire et de compréhension géographique. Nous proposons qu’à titre de collectivités décentralisées que l’on retienne deux types que sont : les conseils régionaux et les communes, les quartiers et districts étant des subdivisions de ces dernières. On pourrait accroitre leurs pouvoirs pour en faire des communes de plein exercice. Pour éviter les créations fantaisistes ou purement partisanes, la création de nouvelles régions et communes devraient être du ressort de la loi, après une étude sérieuse de leur bien-fondé. La Guinée a connu une belle histoire de décentralisation dans les années 90, il est possible de s’en inspirer.

 

 

De l’accent sur la réforme continue des forces de défense et de sécurité pour accroitre leur caractère républicain et au service de développement de la Guinée

 

 

Les Forces de défense et de sécurité sont une composante majeure de la nation guinéenne. En plus de leurs missions classiques et régaliennes (art.191 et suivants) de défendre le territoire national, protéger les institutions républicaines, protéger les personnes et leurs biens et d’assurer l’ordre public, deux points essentiels les concernant figurent dans l’Avant-projet de constitution : il s’agit de « participer au développement socioéconomique et culturel du pays ainsi qu’aux travaux d’intérêt public » et « elles sont au service de la nation et soumises à l’autorité civile légalement établie ». Ce sont là des éléments qui définissent une armée républicaine et au service du développement. Que l’on pense à la prouesse des formations militaires dans le domaine culturel, ou les potentialités des ressources humaines militaires dans le domaine de la santé, du génie militaire et du génie agricole. L’inscription dans l’Avant-projet de constitution des réformes continues de nos vaillantes forces armées et de sécurité en ce sens pourrait être salutaire.

 

 

Du renforcement de l’option moniste en matière de lien entre le droit interne et le droit international

 

 

En matière de rapport entre droit international et droit interne, la Guinée a toujours été un pays de tradition moniste. L’Avant-projet de constitution a ainsi, à juste raison, opté pour un système moniste en droit des traités (art.197). En vertu de cette tradition, les traités internationaux, une fois régulièrement ratifiés et entrés en vigueur, ont un effet direct sans qu’il soit nécessaire de mettre en œuvre une législation particulière pour transposer les obligations dans le cadre interne. En termes simples, les traités font partie de l’arsenal juridique sans aucune autre mesure d’internalisation législative et ont une autorité supérieure à celle des lois. Ayant l’avantage d’être simple, c’est ainsi un excellent choix de garder cette option, surtout que l’on sait la reconnaissance des droits humains est souvent contenue dans les traités internationaux et ces derniers pourront ainsi être directement appliqués par le juge interne ; le récent procès en Guinée en est une illustration évidente.

 

 

De la pertinence des intangibilités constitutionnelles et l’encadrement accru de révision constitutionnelle sans tomber dans le mythe de la constitution « béton » qui n’existe nulle part

 

 

La reconduction des intangibilités constitutionnelles classiques (forme républicaine de l’Etat, principe de laïcité, pluralisme, principe de limitation du nombre et de la durée des mandats du Président de la République, …) dans l’Avant-projet de constitution (art.199) va de soi. Eu égard au caractère tumultueux de notre histoire constitutionnelle récente, nous insistons sur notre proposition de nomination expresse du tripatouillage constitutionnel à des fins d’obtention d’un troisième mandat comme une haute trahison contre lequel le peuple peut user son droit à la résistance à l’oppression. La criminalisation des agents et autres mouvements de soutien dans un tel projet dans l’Avant-projet de constitution est à saluer également.

 

 

Au niveau de la révision constitutionnelle, nous notons la mise en place de plusieurs verrous qui encadrent le processus dans l’Avant-projet de constitution (art.198 et suivants). Un grand effort est fait dans ce sens par les rédacteurs de l’Avant-projet de constitution ; un effort à reconnaître ; ils ont sans doute tenu compte de notre passé récent de révision constitutionnelle et ses conséquences sur l’arrêt de notre processus démocratique.

 

 

Cependant, nous insistons, comme le fait d’autres éminents cadres de ce pays, sur le fait que l’idée de « constitution-béton », de « constitution-blindée » et autres qualificatifs de même ordre est un simple mythe. N’importe qui peut mettre n’importe quelle constitution à terre et le tour recommence. Les gardes fous figurant à l’article 201 n’y feront rien et ne seront d’aucune utilité. La constitution américaine de 1787 (venue préciser la Déclaration d’indépendance de 1776) ne s’est déchirée lors de l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, simplement parce qu’il s’est trouvé des personnes prêtes à mourir pour la défendre (forces armées, magistrats, citoyens et autres). Rien n’est arrivé à la constitution sénégalaise lors des tentatives d’atteinte à son intégrité courant avril 2024, non pas parce qu’elle est cousue en acier inoxydable, mais simplement parce qu’il s’est trouvé des Sénégalais et Sénégalaises qui se sont levés pour défendre son intégrité (les forces armées, les citoyens lambda, les universitaires, les autorités morales et religieuses et surtout les magistrats tant d’instance et d’appel que constitutionnels). Nous en dirons de même pour l’Afrique du Sud et sa constitution, l’Inde, le Brésil et ailleurs. Les seuls gardiens de notre future constitution sont un peuple patriote et des dirigeants honnêtes, tous pétris de culture démocratique et prêts à mourir pour la défendre. Je nous le souhaite.

 

 

De l’épineuse question des dispositions transitoires et finales de l’avant-projet de constitution

 

 

Cette question est traitée à l’article 202 et suivants. Il se pose ici la question du rapport entre la Charte de la transition du 27 septembre 2021 et la future constitution du pays. Apparaissent sous cet angle plusieurs points : la question de la fixation de la durée de la transition, avec l’aspect implicite de l’élaboration du texte constitutionnel, par les acteurs désignés sous l’empire de l’article 77 de la Charte précitée, qui sont les Forces Vives de la Nation et le Comité National du Rassemblement pour le Développement, CNRD, la question de l’intégration des articles 46, 55 et 65 de la même Charte et autres questions prégnantes. La démocratie étant consensus, en sus des prescriptions de la Charte que dessus, tous ces points auraient pu trouver solutions définitives au sein d’un forum national pour le bien de notre processus démocratique et en faveur du retour à un ordre constitutionnel démocratique apaisé tel que toujours voulu par la population guinéenne. En outre, il est fait état d’amnistie, il faudrait tout simplement exclure de cet ordre les crimes contre l’humanité et de même catégorie qui conservent leurs caractères inamnistiable et imprescriptible.

 

 

Du respect des canons de la légistique en optant pour la simplification et la cohérence constitutionnelle en évitant la confusion des termes (art.41)

 

 

Dans une partie de l’Avant-projet de constitution, on peut sembler reconnaitre une belle innovation doctrinale au niveau de la classification des institutions du pays : « Institutions gouvernantes » (en rangeant sous le même rang le Législatif et l’Exécutif), « Institutions gouvernantes », « Institutions juridictionnelles » et « Institutions d’appui ». Si certains intitulés vont de soi comme « Institutions juridictionnelles », « Institutions gouvernantes » pourraient poser problèmes sous cette classification en rangeant sous le même toit le Législatif et l’Exécutif. Du point de vue de la science politique, toutes ces institutions peuvent se ranger sous le vocable générique de gouvernance. Mais ici, la Constitution se voulant un document lisible par le commun des mortels, par le citoyen lambda, il serait peut-être plus simple d’opter pour un schéma plus traditionnel des trois pouvoirs à savoir l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, en sus des autres institutions d’appui. Ce schéma facilite la lecture pour le citoyen et la compréhension de son contenu.

 

 

L’environnement démocratique porté par des personnes convaincues de son essence comme seul rempart de l’intégrité d’une constitution qui se veut durable et pérenne

 

 

La solidité de la constitution sud-africaine, la vivacité de la constitution sénégalaise, la permanence de la constitution américaine avec ses divers amendements, la solidité de la constitution allemande, la longévité de la constitution indienne et autres ne dépendent pas seulement de la beauté du texte constitutionnel fondamental. L’ingrédient majeur de l’ensemble de ces textes repose sur la permanence de la poursuite de l’édification de l’idéal démocratique qui est un processus continuel, avec ses avancées et ses reculs.

 

 

C’est cet ingrédient qui semble faire défaut à notre pays, la Guinée. Le travail des pionniers, des « founding fathers », a été consolidé par d’autres patriotes. Et la frêle case, la petite baraque, est devenue le solide édifice qu’aucun vent charriant du « troisième mandat » ou autres « third-termism » de même acabit ni « sirènes révisionnistes » ne sont venus ébranler, le long des ans pour les uns, le long des siècles pour les autres pays. Tant et aussi longtemps que l’on s’obstinera à ne pas mettre cet indispensable ingrédient dans notre sauce démocratique commune, nous nous retrouverons à consommer notre fade met constitué de rupture de notre norme constitutionnelle fondamentale à tout moment, fit-elle érigée en béton industriel pour ponts et chaussées.

 

 

Un texte constitutionnel est un arbuste fragile qui ne peut germer et grandir que dans un terreau démocratique qu’arrosent nuit et jour des jardiniers et des jardinières, patriotes et convaincus de sa substance. Nous avons foi que la Guinée verra croître un tel texte dans un tel environnement au bénéfice de toutes ses filles et tous ses fils, à force de travail honnête et de patriotisme sincère.

 

 

La publication du texte complet de l’Avant-projet de notre constitution a été de nature de nous sortir des vacances académiques et judiciaires annuelles, une telle publication entrant dans les exceptions qualifiées de survenance d’un évènement d’importance particulière. Avec nos remerciements renouvelés et nos vœux de bonnes vacances hivernales à toutes et tous.

 

 

Bangui, le 23 août 2024

 

 

-Juris Guineensis No 68

 

 

Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D

 

 

Docteur en droit, Université de Sherbrooke/Université Laval (Canada)

 

 

Professeur

de droit, Consultant et Avocat à la Cour