De Bocar Biro (Porédaka) hier… Tripoli, Bamako, aujourd’hui : L’Afrique vendue par ses propres fils

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En novembre 1896, l’histoire du Fouta-Djalon bascule à Porédaka. L’almamy Bokar Biro Barry, dernier dirigeant indépendant de cet État théocratique, tombe face à l’armée coloniale française. Son courage et son refus de céder masquent mal une vérité plus amère : la victoire française n’est pas seulement le fruit de leur supériorité militaire, mais aussi de nos divisions internes.

Cent vingt-neuf ans plus tard, l’Afrique indépendante reproduit encore ce schéma. De la Libye à la RDC et au Soudan, les rivalités internes continuent d’ouvrir la porte à l’ingérence étrangère. L’histoire de Bokar Biro n’est donc pas une relique : c’est un miroir.

I – Bokar Biro : un refus courageux, mais isolé

À la fin du XIXᵉ siècle, le Fouta-Djalon est affaibli par les luttes entre Alfaya et Soriya, ainsi que par les ambitions autonomistes de certaines provinces. Les Français exploitent ces fractures : certains chefs locaux, hostiles à Bokar Biro, sollicitent leur aide.

En 1896, face aux exigences coloniales (routes, monopole commercial, droit de veto sur les chefs), Bokar Biro signe un traité avec un simple « Bismillah » pour signifier son refus.

La riposte française est rapide : Porédaka scelle la fin de l’indépendance du Fouta-Djalon.

Leçon : La bravoure ne suffit pas, sans unité interne et sans modernisation stratégique, la résistance est condamnée.

II – Le schéma qui se répète aujourd’hui

1. Libye (2011 – aujourd’hui)

– Chute de Kadhafi, éclatement du pays en factions rivales.

– Chaque camp s’appuie sur des parrains étrangers (OTAN, Turquie, Russie, Égypte…).

– Résultat : pillage des ressources, État en ruine, dépendance totale aux agendas extérieurs.

2. Mali (2012 – aujourd’hui)

– Rébellion au Nord, coups d’État, tensions communautaires.

– Présence successive de forces françaises, onusiennes .

– Résultat : dépendance sécuritaire prolongée, fragilité institutionnelle.

3. République Démocratique du Congo

– Conflits armés récurrents dans l’Est, alimentés par des soutiens étrangers.

– Extraction illégale de minerais stratégiques (cobalt, coltan) au profit de réseaux internationaux.

– Résultat : perte de contrôle sur une partie du territoire, économie parasitée par des intérêts extérieurs.

Constat : Comme au temps de Bokar Biro, l’appel à l’extérieur pour résoudre un conflit interne se paie toujours par une perte de souveraineté.

III – Ce qui a changé… et ce qui n’a pas changé

Changements positifs

– Plus d’États africains souverains sur le plan juridique (ONU, UA, traités bilatéraux).

– Début d’initiatives régionales (CEDEAO avant sa division à cause des sanctions, ZLECAf) pour favoriser l’intégration.

Ce qui persiste

– Divisions internes exploitées par des acteurs extérieurs.

– Dépendance économique et technologique massive.

– Faible capacité à défendre un agenda stratégique commun face aux grandes puissances.

IV – Les leçons stratégiques pour l’Afrique

1. L’unité interne est la première défense : sans cohésion nationale et consensus minimal sur les intérêts vitaux, toute résistance est vulnérable.

2. Régler les conflits en interne : trouver une solution africaine avant qu’ils ne deviennent une opportunité pour l’ingérence.

3. Modernisation intégrale : la souveraineté exige la maîtrise de la technologie, des finances, de l’information et des infrastructures stratégiques.

4. Diplomatie préventive : coopérer entre États africains pour désamorcer les crises avant leur exploitation extérieure.

Conclusion

Bokar Biro n’a pas perdu seulement à cause des canons français. Il a perdu parce que ses ennemis de l’intérieur ont trouvé un allié à l’extérieur. Tant que l’Afrique restera divisée, nos ressources, nos terres et notre avenir continueront d’être décidés ailleurs.

Il est temps de retenir cette leçon : l’ennemi extérieur ne peut entrer que par les portes que nous ouvrons nous-mêmes. Et ces portes, ce sont nos rivalités.

Encadré – Quelques chiffres qui parlent

– Faible intégration commerciale intra-africaine : environ 15–16 % du commerce total (contre plus de 60 % en Europe).

– Potentiel AfCFTA : +35 % d’intra-commerce africain possible d’ici 2045.

– Rentes minières mal captées : seulement 40 % des recettes potentielles conservées.

– Réserves stratégiques : 55 % du cobalt, 47,7 % du manganèse et 21,6 % du graphite naturel mondiaux.

– Fuites illicites de capitaux : 88,6 milliards $ par an (3,7 % du PIB africain).

– Conflits : 21 opérations de paix multilatérales en Afrique subsaharienne en 2024.

– Croissance ralentie : 3,1 % en 2023 contre 4,1 % en 2022.

Souvenons-nous de Bokar Biro. Fermons nos rangs. Construisons notre puissance. Ce n’est pas l’ennemi qui nous bat ; ce sont nos divisions qui nous livrent.

H.Niang

Ancien ministre.

Source : Malijet

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