Élections 2025 en Guinée : entre promesses de transparence et risques de confiscation
1. Un tournant institutionnel sous haute surveillance
Samedi 14 juin 2025, la Guinée a franchi un nouveau cap électoral avec la création, par décret présidentiel, de la Direction Générale des Élections (DGE). Cette entité remplace désormais la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et se trouve directement placée sous l’autorité du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD). Autonome financièrement et dotée de pouvoirs étendus — allant de l’élaboration des textes électoraux à la gestion numérique des scrutins — la DGE incarne, du moins dans les textes, une modernisation du cadre électoral guinéen.
Le changement intervient à un moment critique : la transition en cours prévoit un référendum constitutionnel en septembre et des élections générales en décembre 2025. À moins de six mois de ces échéances majeures, le nouveau dispositif suscite à la fois de l’espoir et de fortes préoccupations.
S’il faut saluer la volonté de modernisation — avec des ambitions comme le fichier biométrique permanent, la digitalisation des résultats, la mise en place d’une bibliothèque juridique électorale ou encore la création d’une force spéciale de sécurisation — l’expérience nous oblige à la prudence. L’histoire électorale récente de la Guinée est jonchée de réformes ambitieuses sur le papier, mais peu effectives dans les faits.
2. Inquiétudes majeures : une vigilance nécessaire
Malgré les annonces, plusieurs points soulèvent de sérieuses inquiétudes :
Autonomie réelle de la DGE
La DGE est rattachée à un ministère, ce qui soulève des doutes sur sa capacité à résister aux pressions politiques, surtout dans les moments sensibles comme la compilation des résultats ou la gestion des contentieux.
Respect du calendrier électoral
Les échéances annoncées sont très proches. Tout retard dans l’organisation du référendum ou des scrutins pourrait alimenter la frustration populaire, nourrir les théories de manipulation et fragiliser la paix sociale.
Transparence financière
L’autonomie budgétaire est un principe noble. Mais sans mécanismes de contrôle indépendant et publication régulière des dépenses, cette autonomie pourrait être détournée au service d’intérêts partisans.
Inclusion des jeunes et des femmes
Malgré leur poids démographique (plus de 70 % de la population a moins de 35 ans), les jeunes et les femmes restent largement absents des dispositifs électoraux, des comités locaux aux postes de supervision.
Sécurité du scrutin
La mise en place d’une force spéciale pour la sécurisation du vote pourrait être utile. Mais sans encadrement et sans formation aux normes de droits humains, cette force risque d’intimider plus qu’elle ne protège.
Observation citoyenne et accès aux données
Les organisations de la société civile (OSC) n’ont toujours pas reçu de garanties claires sur leur rôle, leur accréditation et leur accès aux données électorales. La crédibilité des scrutins exige pourtant une présence massive, indépendante et formée d’observateurs locaux.
Systèmes numériques & biométrie
La digitalisation peut freiner la fraude, mais elle suppose des bases de données fiables, des serveurs sécurisés, et une publication détaillée, en temps réel, des résultats par bureau de vote.
3. Des solutions concrètes pour une élection crédible
Pour transformer les promesses institutionnelles en réalité démocratique, il est urgent de prendre des mesures fortes, cohérentes et inclusives.
Pour le gouvernement et le MATD
Garantir l’indépendance effective de la DGE : nomination sur appel à candidatures, encadrement par un conseil de supervision tripartite (État – partis – OSC), et reddition de comptes publique.
Transparence financière totale : publier chaque mois les dépenses électorales, contrats, et subventions.
Encadrement des forces de sécurité : intégrer la société civile dans les dispositifs régionaux de veille et de prévention des violences.
Pour les partis politiques
Adhérer à un code de bonne conduite électorale : transparence sur les financements, respect des résultats, limitation des discours violents.
Former des représentants jeunes et compétents pour tous les bureaux de vote.
Se doter d’experts en technologie électorale pour suivre la transmission des résultats.
Pour la société civile et les médias
Organiser l’observation citoyenne à grande échelle avec des comités locaux outillés (applications mobiles, formation à l’observation, mécanismes d’alerte).
Auditer publiquement le fichier électoral en s’appuyant sur les données biométriques et les outils statistiques.
Renforcer l’éducation citoyenne : vidéos, radios locales, affiches, théâtres de rue et réseaux sociaux en langues locales.
Pour les partenaires techniques et financiers
Soutenir les audits techniques (système de transmission, infrastructure numérique, fichier électoral).
Financer la formation de jeunes experts électoraux dans le numérique, la gestion de base de données, la cybersécurité.
Créer un fonds électoral conditionné au respect de principes de transparence, d’inclusivité et de redevabilité.
4. Conclusion : mobiliser pour surveiller, et surveiller pour garantir la paix
La création de la DGE ouvre une nouvelle page électorale en Guinée. Cette page sera-t-elle écrite dans l’encre de la transparence et de la participation ? Ou restera-t-elle une simple décoration technocratique ?
La réponse dépend moins des décrets que des citoyens. Elle dépend de notre capacité collective à surveiller, alerter, documenter et dialoguer. Elle dépend de la mobilisation des jeunes, de l’engagement des femmes, de la responsabilité des leaders politiques, et du soutien lucide des partenaires.
Car une élection sans surveillance est une élection à haut risque. Et une transition mal conclue est une crise qui s’annonce.
Mobilisons-nous dès aujourd’hui pour une transition réussie et une élection crédible. Observons chaque étape, interpellons chaque responsable, partageons chaque information utile.
Ensemble, bâtissons une Guinée lucide, responsable et tournée vers l’avenir.
Mamadou Diouldé Sow
Activiste de la société civile Coordonnateur MAOG-Pita
Citoyen engagé pour une Guinée lucide et responsable