Accueil POLITIQUE En Côte d’Ivoire, l’histoire se répète : Tidjane Thiam victime de la...
La roue tourne, dit l’adage. Et en Côte d’Ivoire, elle tourne invariablement dans le même sens: celui de l’exclusion et de la confiscation du pouvoir longtemps pratiquée au sommet de l’Etat.
L’annonce faite ce 22 avril 2025 par la justice ivoirienne concernant la disqualification de Tidjane Thiam pour les élections présidentielles d’octobre prochain résonne comme un écho sinistre du passé. C’est l’exclusivité, bref, un coup dur à la démocratie.
Un passé que nous pensions enterré mais qui, tel un fantôme malveillant, revient hanter la scène politique du pays du vieux Houphouët.
Souvenons-nous. Dans les années 90, Henri Konan Bédié inventait le concept d’ivoirité pour écarter son rival potentiel Alassane Ouattara, l’accusant d’être burkinabè.
Une stratégie d’exclusion qui a semé les germes de la division, de la frustration, de la haine viscérale dans un pays autrefois considéré comme un modèle de stabilité et de développement dans une sous région déchirée par des decienies de guerre civile.
Ce que subit aujourd’hui, Tidjane Thiam sur la scène politique de son pays, cest ce que Alhassane Ouattara avait exactement combattu avec véhémence dans les années 90. Oû est passé cette conviction ? Quelle ironie !
Quand une justice aux ordres peut décider qui a le droit de se présenter et qui doit rester sur la touche. La manœuvre est d’autant plus grotesque que Thiam, par son parcours international à la tête du Crédit Suisse et son aura internationale, représentait peut-être l’une des rares chances de la Côte d’Ivoire de tourner définitivement la page des années sombres.
D’ailleurs, l’absence sur la liste des candidats Laurent Gbagbo (ancien président), Charles Blé Goudé (figure emblématique de la jeunesse patriotique) et Guillaume Soro (ex-président de l’Assemblée Nationale devenu opposant) dessine les contours d’une stratégie d’élimination systématique de toute opposition crédible. Une exclusivité sans précédente face à une gloutonnerie du pouvoir nourrie et soutenue au sommet de l’Etat.
Une stratégie qui pose une question fondamentale : à quoi sert une élection quand les seuls adversaires autorisés sont ceux qui ne représentent aucun danger?
Pour comprendre l’ampleur de la régression démocratique en cours, rappelons-nous le parcours d’Alassane Ouattara.
Empêché de se présenter en 1995 et 2000 au nom d’une interprétation restrictive de la nationalité, il accède au pouvoir en 2010 à l’issue d’une crise post-électorale qui a coûté la vie à plus de 3.000 Ivoiriens. Sa légitimité reposait alors sur sa qualité de victime d’un système injuste et sur la promesse d’une gouvernance plus inclusive.
Quinze ans plus tard, que reste-t-il de ces promesses?
L’homme qui dénonçait avec force l’instrumentalisation de la justice et la manipulation des règles électorales utilise aujourd’hui les mêmes canaux qu’il combatait hier. Son troisième mandat, obtenu en 2020 au prix d’une modification constitutionnelle contestée et sanglante.
L’exclusion de Tidjane Thiam achève de déchirer le voile des apparences : le pouvoir semble devenu une fin en soi, et tous les moyens sont bons pour le conserver.
Sinon, même Alpha Condé, dans sa folie de troisième mandat en 2020 en Guinée, n’a pas écarté ses potentiels adversaires notamment Cellou Dalein Diallo pendant les élections du 18 octobre.
Le plus inquiétant dans ce scénario bien rodé est peut-être l’apathie croissante de la communauté internationale.
Les mêmes capitales occidentales qui s’indignaient bruyamment hier de l’exclusion d’Ouattara dans les années 90 observent aujourd’hui un silence complice face aux mêmes procédés.
Pour tous les observateurs, le message de cette exclusion dans le processus démocratique en Côte d’Ivoire est dévastateur.
Quelle leçon tirer d’un système politique où les principes défendus dans l’opposition sont abandonnés une fois au pouvoir? Comment croire encore à la possibilité d’un changement par les urnes quand l’accès à la compétition électorale est verrouillé?
La tragédie ivoirienne est d’autant plus douloureuse que ce pays dispose de tous les atouts pour réussir : ressources naturelles abondantes, capital humain de qualité, position géostratégique enviable. Mais ces potentialités sont constamment sabotées par un cycle politique vicieux où chaque régime répète les erreurs qu’il dénonçait chez son prédécesseur.
L’exclusion de Tidjane Thiam, annoncée ce 22 avril, n’est donc pas qu’une simple péripétie judiciaire. C’est le symptôme alarmant d’une démocratie gravement malade. Une démocratie inlassablement poignardée par ceux qui sont sensés de la protéger. C’est aussi un rappel cruel que les mots et les concepts – comme « ivoirité » hier ou « nationalité » aujourd’hui ne sont souvent que des instruments au service d’ambitions personnelles, des masques derrière lesquels se cache la peur de l’alternance.
Dans l’avenir, l’histoire jugera moins sévèrement celui qui accepte de quitter le pouvoir que celui qui s’y accroche par tous les moyens.
Pourquoi ceux qui ont souffert de l’injustice sont-ils si prompts à la reproduire une fois au pouvoir? Comme si la mémoire de la souffrance s’effaçait instantanément devant les tentations du pouvoir absolu.
Minkael BARRY