Guinée : L’ONU dénonce l’enlèvement des enfants du chanteur Élie Kamano, symbole d’une répression croissante

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Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a exprimé mardi sa vive préoccupation suite à l’enlèvement de plusieurs membres de la famille du chanteur guinéen Élie Kamano, figure de la scène reggae africaine et farouche critique du régime militaire au pouvoir à Conakry.

Selon le Haut-Commissariat, des hommes armés auraient fait irruption dimanche vers 4 heures du matin au domicile du chanteur dans le quartier de Matato à Conakry, avant d’emmener deux de ses fils, deux de ses neveux tous mineurs  et un de ses cousins. Seul le plus jeune des enfants, âgé de 7 ans, a depuis été relâché.

Des médias guinéens ont diffusé une vidéo publiée le jour même par Élie Kamano sur les réseaux sociaux, dans laquelle la star de reggae en exil dénonce l’enlèvement nocturne de plusieurs membres de sa famille. Face caméra, le visage fermé et le ton grave, l’artiste accuse directement le chef de la junte, Mamadi Doumbouya : « Ramène mes enfants, ils n’ont rien à voir avec ma lutte ».

« Nous exhortons les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur retour immédiat et en sécurité, ainsi qu’à mener une enquête rapide, approfondie et impartiale sur leur disparition et à traduire les responsables en justice », a déclaré dans un communiqué Seif Magango, porte-parole du Haut-Commissariat.

L’atmosphère était lourde lundi devant la concession de l’artiste située derrière le marché de Matoto. Les voisins inquiets affichent des regards fuyants et des portes entrouvertes. « Ici, tout le monde a peur de parler », glisse un habitant.

Selon des témoins, les assaillants auraient arpenté le quartier toute la journée, attendant la fin d’une fête familiale organisée tard dans la nuit pour passer à l’action. Leur entrée aurait été facilitée par l’arrivée tardive d’un des jeunes qui a été enlevé, intercepté dans la rue et forcé de frapper à la porte.

Plus de 24 heures après les faits, la famille affirme être toujours sans nouvelles des quatre personnes enlevées. « Nous ne savons pas où ils sont à ce jour », confie une parente de l’artiste.

L’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo a vivement réagi, qualifiant cet acte d’atteinte grave aux droits humains et dénonçant une méthode visant à faire pression sur les voix critiques du pouvoir. « Je condamne fermement cette pratique qui consiste à s’en prendre aux proches de ceux qui, de l’extérieur, dénoncent et combattent les dérives autoritaires de la junte ».

L’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH) a exprimé sa profonde indignation, dénonçant la persistance de pratiques d’intimidation, d’enlèvements et d’atteintes à la sécurité visant principalement des voix dissidentes ou les membres de leur famille.

Le cas d’Élie Kamano fait écho à celui du journaliste en exil Mamoudou Babila Keïta, dont le père a été enlevé fin septembre dans le sud du pays, et à ceux de plusieurs opposants, journalistes ou figures de la société civile dont on est sans nouvelles à ce jour.

Depuis le coup d’État de septembre 2021 en Guinée, le pouvoir militaire a resserré son emprise sur le pays, où les arrestations arbitraires, disparitions forcées et intimidations contre les voix dissidentes se multiplient.

Fin septembre, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, avait déjà signalé la disparition d’au moins une dizaine de personnes après leur arrestation par les forces de sécurité. Selon M. Türk, ces pratiques semblent être en augmentation constante.

Outre la libération des proches d’Élie Kamano, le bureau du Haut-Commissariat demande aux autorités du pays des informations sur le sort et le lieu de détention d’« au moins cinq autres personnes » présumées victimes de disparition forcée : les militants Foniké Mengué et Mamadou Billo Bah, l’ancien secrétaire général du ministère des Mines, Saadou Nimaga, ainsi que le journaliste Habib Marouane Camara.

Élie Kamano, ancien soutien du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), est devenu l’un des critiques les plus virulents du régime. Sa rupture avec la junte militaire lui a valu d’être contraint à l’exil, depuis lequel il multiplie les dénonciations des violations des droits humains en Guinée.

Le chanteur avait déjà signalé une tentative de lynchage à Dakar il y a trois mois, affirmant que cet enlèvement est une nouvelle tentative du président Doumbouya de le « liquider ». Dans un appel passionné à la communauté internationale, il a déclaré : « Mes enfants sont innocents, la politique n’est pas leur affaire. Nous appelons l’opinion internationale à réagir à la dictature qui règne en Guinée, sinon le pays sera plongé dans un bain de sang dans les jours à venir ».

Pour les services du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, ces cas s’inscrivent dans le contexte d’un recul généralisé des droits fondamentaux en Guinée depuis l’arrivée au pouvoir de la junte il y a trois ans.

Le régime militaire, qui avait initialement promis une transition rapide vers un pouvoir civil, multiplie les reports du calendrier électoral et durcit sa répression contre toute forme d’opposition. Les médias indépendants sont muselés, les manifestations interdites, et les militants des droits humains systématiquement harcelés.

Malgré tout cela, l’insécurité persiste et fait des lots de victimes. Même les mineurs et les vieillards sont kidnappés, et les violences continuent de tuer des innocents. Cette violence généralisée, combinée à la répression politique, plonge la Guinée dans une crise multidimensionnelle dont les conséquences pèsent lourdement sur la population.

Selon des sources concordantes, le ciblage des proches serait devenu une pratique courante contre les opposants politiques en Guinée, les tentatives d’enlèvement étant devenues très fréquentes depuis l’arrivée au pouvoir du général Mamadi Doumbouya.

À ce jour, les autorités guinéennes n’ont pas réagi officiellement aux allégations d’enlèvement. La famille affirme ne pas avoir officiellement saisi les autorités compétentes, tout en réclamant la libération immédiate des personnes enlevées : « Les enfants n’ont rien à voir avec ce qui se passe. Nous demandons leur libération ».

La communauté internationale observe avec inquiétude cette dérive autoritaire. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne et plusieurs gouvernements occidentaux ont déjà appelé les autorités guinéennes au respect des droits humains et à la libération des prisonniers politiques.

L’affaire Élie Kamano pourrait devenir un symbole de la lutte entre un régime autoritaire et la liberté d’expression. Le sort réservé aux membres de sa famille sera un test crucial pour évaluer la volonté du gouvernement guinéen de respecter ses engagements internationaux en matière de droits humains.

Pour l’heure, quatre personnes restent portées disparues. Et la Guinée retient son souffle.

La rédaction 

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