« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », a dit Albert Camus. Bien nommer ce qui s’est passé le 26 juillet à Niamey, c’est restituer les faits dans leur authenticité, loin des manipulations et manœuvres de toutes sortes pour brouiller l’événement à dessein.
Dans la nuit du 25 au 26 juillet 2023, le général Abdourahmane Tchani, alors commandant de la garde présidentielle, a été alerté qu’une mesure d’élargissement de prisonniers de guerre, à laquelle il s’était opposé, était sur le point d’être signée par le président Mouhamed Bazoum. Il s’est rendu illico presto au Palais où il a réitéré son désaccord face à ce qui lui apparaissait comme un acte de trahison à l’encontre des forces combattantes du pays.
Bazoum a persisté, le général l’a fait arrêter séance tenante, avant de boucler les abords du siège de la présidence. C’était parti, dès le lendemain matin, pour cette crise qui, jusqu’à ce jour, fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Les autres détachements de l’armée, qui, aux premières heures de la matinée, s’étaient opposés au renversement du « président démocratiquement élu », ont rallié le général Tchani dès qu’il leur a exhibé le décret que Bazoum s’entêtait à signer.
Le geste manqué du président déchu est apparu, en effet, aux yeux de toutes les unités, comme un acte de trahison. Libérer des chefs djihadistes, dans ce contexte où le terrorisme saigne le Sahel, est à tout le moins incompréhensible.
Autre curiosité dans ce capharnaüm sahélien: la France, qui a positionné environ 1 500 hommes dans cet immense no man’s land, et les Etats-Unis, qui en comptent plus de 1 000, assistent, impassibles, aux exactions de hordes terroristes barbares qui écument les hameaux, pillent, brûlent, égorgent…
Ancienne puissance colonisatrice du Niger, la France, qui ceinture avec ses hommes en armes les mines d’uranium pour sécuriser son industrie nucléaire, est celle-là même qui a demandé à Bazoum de poser l’acte de clémence qui lui a coûté son fauteuil ! Combat-elle le terrorisme ou s’allie-t-elle à lui pour orchestrer ce que Sylvie Baipo-Temon, ministre centrafricaine des Affaires étrangères, a appelé « l’organisation du chaos » ?
Le mode opératoire est rodé: mettre le feu à la maison du voisin, y envoyer des hommes déguisés en sapeurs pompiers, laisser faire les pyromanes, faire libérer ceux d’entre eux qui sont pris, profiter du chaos de l’incendie pour s’emparer des bijoux de famille… Un braquage à main armée, en somme ! Le Niger, braqué depuis 1960, est le pays le plus pauvre et le plus déficitaire en énergie du monde, au moment où son uranium alimente l’industrie nucléaire qui éclaire la France et lui rapporte des milliards d’euros dans la vente d’électricité !
Comble de l’injustice : c’est Areva devenue Orano, porte-étendard nucléaire français, qui extrait l’uranium nigérien, en exploite une partie, vend l’autre sur le marché international pour… rétrocéder au Niger les miettes qui lui tiennent lieu de part.
En mai 2023, la France, contrainte de développer sa filière nucléaire suite à la crise énergétique causée par la guerre russo-ukrainienne, a signé avec le régime de Mouhamed Bazoum un contrat que la société civile nigérienne avait vainement réclamé et qui sera dénoncé par la junte nouvellement au pouvoir.
Ce qui s’est passé à Niamey n’est donc pas un coup de poignard contre la démocratie d’un général que le désormais ex-président s’apprêtait à limoger. C’est une saine rectification de dérives d’un « président démocratiquement élu » qui avait vendangé les intérêts stratégiques et économiques de son peuple pour obtenir le soutien de puissances extérieures pyromanes et prédatrices !
Nul doute que la nouvelle équipe au pouvoir à Niamey, qui a commencé par dénoncer les accords de coopération militaire avec la France, va demander le départ des troupes françaises stationnées sur le sol nigérien.
Après avoir été chassée de la Centrafrique, du Mali et du Burkina Faso, la France va devoir débarrasser le plancher au Niger. Dans la nouvelle donne diplomatique au Sahel, elle sera remplacée, ici aussi, par la… Russie !
De Paris à Washington, on s’étrangle de rage face à cette déflagration géopolitique. L’Occident qui, comme le révèle Zbigniew Brzezinski, brillant analyste en géopolitique, s’emploie à neutraliser la Chine et à affaiblir la Russie, voit sa survie économique menacée par la monnaie-or en cours de création par les Brics emmenés par Pékin et ses positions stratégiques en Afrique arrachées par Moscou.
Ce qui se joue au Niger est une partie d’échec dont les enjeux dépassent la Cedeao. Cette organisation sous-régionale est dépourvue d’une crédibilité à la hauteur de la complexité de la crise. Quel symbole cruel que de voir Alassane Ouattara, auteur en 2020 d’un sanglant coup d’Etat constitutionnel pour capturer la Côte d’Ivoire au-delà de deux mandats, réclamer qu’une pluie de bombes s’abatte sur une junte ayant, sans effusion de sang, mis fin au pouvoir d’un président à l’élection contestée, en mal de légitimité, qui bradait les intérêts de son pays à des puissances étrangères moyennant leur soutien !
Car la terminologie ne trompe plus personne: on est « président démocratiquement élu », soutenu par « la communauté internationale » si et seulement si on sert les intérêts des puissants qui s’arrogent le droit de décider de ce qui est bien et de ce qui est mal pour les autres peuples. Et qui, parce que cela les arrange, n’ont rien trouvé à redire lorsque Mahamat Kaka Déby Itno a foulé du pied tout le protocole démocratique pour s’emparer du pouvoir au lendemain de la mort de son père, Idriss Déby Itno.
Club de potentats instrumentalisés par des intérêts étrangers, la Cedeao n’aura pas les moyens militaires de son ambition de réinstaller Bazoum au pouvoir. Les Etats-Unis ont quitté la ligne dure de la France, face à l’hostilité à l’option de la force exprimée par le Mali, le Burkina Faso, la Guinée, le Tchad, l’Algerie, mais aussi par l’opinion intellectuelle africaine.
Toutefois, par les sanctions extrêmes qu’elle a adoptées, la Cedeao va vider le Niger de ce qui reste de son sang. La population, innocente, déjà éprouvée, sera achevée par la pénurie, la famine, la mort… Et la roue de l’histoire continuera de tourner… Le cas nigérien est un symptôme aigu du mal africain contemporain.
Cheikh Yérim Seck