Niger : Comment Faure Gnassingbé a mis Patrice Talon à la touche, malgré lui

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Après le putsch du 26 juillet 2023, au Niger, la Cedeao a infligé de lourdes sanctions économiques à Niamey. Elle est ensuite passée à la vitesse supérieure en annonçant une opération militaire pour déloger les auteurs du coup d’Etat et réinstaller Mohamed Bazoum. Le président béninois, Patrice Talon, était au premier rang avec son homologue nigérian Bola Tinubu, par ailleurs président de la Cedeao. On a tous entendu leurs déclarations assez fermes à l’égard des militaires au pouvoir à Niamey.

 

« Jamais le Togo n’a agressé ses voisins ou un quelconque pays »

 

Pendant ce temps, le président togolais Faure Gnassingbé se faisait discret. Il se gardait d’aller au clash avec ces hommes en treillis, bien qu’il n’approuve pas leur coup de force. Sa position modérée a fait de lui, non un adversaire, mais un dirigeant fréquentable, aux yeux de la junte. Dans le même temps, Patrice Talon était vu comme « l’ennemi ». En septembre dernier, lors de la 76e Assemblée générale des Nations Unies, le Togo via son ministre des Affaires étrangères Robert Dussey s’est clairement prononcé contre une intervention militaire de la Cedeao au Niger. « Le Togo s’oppose à la guerre, quelles que soient les raisons. Depuis notre indépendance, le 27 avril 1960, jamais le Togo n’a fait la guerre à ses voisins, jamais le Togo n’a agressé ses voisins ou un quelconque pays, jamais le Togo n’a servi de base arrière pour une quelconque agression contre un pays frère », a déclaré fermement M. Dussey.

 

« Echapper au goulot d’étranglement imposé par Cotonou »

 

Cette intervention était comme une douce musique aux oreilles des militaires au pouvoir à Niamey. La preuve, en novembre 2023, le Niger envoie son ministre de la Défense, le Général Salifou Mody, à Lomé pour solliciter l’implication active du président Faure Gnassingbé dans les négociations entre Niamey et la communauté internationale.

 

L’homme fort de Lomé devenait progressivement aux yeux de Niamey, un chef d’Etat fréquentable, contrairement à ses pairs de la Cedeao qui promettaient l’enfer aux militaires, en l’occurrence Patrice Talon. Il faut faire remarquer que pendant ce temps, le Bénin gardait ses frontières avec le Niger, hermétiquement fermées, empêchant tout trafic sur le corridor Bénin-Niger, qui va du Port autonome de Cotonou, jusqu’à Malanville. Les camions de vivres à destination de Niamey pourrissaient en plein air, dans cette ville frontalière avec le Niger.

 

A la recherche d’une alternative, les militaires qui entretenaient déjà une bonne relation avec Faure Gnassingbé, se rabattent sur le Port de Lomé. Le trajet est certes plus long, mais qu’importe, il fallait échapper au goulot d’étranglement imposé par Cotonou, en application des sanctions de la Cedeao.

 

« Le volume de marchandises du Niger qui transitent par (le) port (de Lomé) est très important »

 

Depuis lors, le Port de Lomé est devenu le Port de Niamey. Le vendredi 31 mai 2024, deux ministres togolais étaient au Niger pour signer un protocole d’accord visant à mettre en place entre les deux pays, un cadre de coopération dans les domaines du commerce, du transport et des transits en vue de faciliter le transport des marchandises à destination du Niger via le corridor Lomé-Ouaga-Niamey.

 

Les deux ministres togolais en l’occurrence le ministre des transports Affoh Atcha-Dedji et sa collègue du commerce Kayi Midevor-Sambiani, ont rencontré lors de leur séjour à Niamey, le président Tiani. A leur sortie d’audience, M. Atcha-Dedji a notamment indiqué qu’un « certain nombre de décisions ont été prises pour renforcer le port de Lomé qui est un port en eau profonde ». Il ajoute par ailleurs que « le volume de marchandises du Niger qui transitent par ce port est très important…Suite à cela (il faut) essayer de faciliter le trafic sur le corridor Lomé-Ouaga-Niamey ».

 

L’objectif du Togo est désormais très clair : « renforcer et faciliter les relations entre le Port de Lomé et les commerçants du Niger de même que ses hommes d’affaires ».

 

Avec une vision aussi limpide de Lomé on se demande si un jour, le Niger retournera vers le Port de Cotonou. La question qui taraude, c’est de savoir si Patrice Talon n’a pas manqué de stratégie et d’intelligence économique dans cette crise qui opposait la Cedeao au Niger. En tout cas, aujourd’hui, il peut s’en mordre les doigts. Tout porte à croire qu’il a sous-estimé le poids des relations économiques entre le Bénin et le Niger. Son pays survivra certes, mais c’est sans aucun doute un énorme manque à gagner pour l’économie béninoise, ce départ de Niamey, du Port de Cotonou.

 

L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo aime dire ceci : Quand on envoie, il faut savoir t’envoyer ». Patrice Talon pouvait faire preuve de tact et d’intelligence politique en adoptant une posture modérée avec Niamey, après le coup d’Etat, vu les relations économiques privilégiées que le Bénin entretenait avec ce pays voisin.