Abou Sangaré, le Guinéen anciennement sans papier devenu célèbre en jouant son propre rôle de livreur à vélo au cinéma dans le film L’Histoire de Souleymane, a remporté le César du Meilleure révélation masculine vendredi 28 février. Le sacre de ce jeune acteur non professionnel enchante ses compatriotes à Conakry et touche aussi beaucoup la communauté des livreurs à vélo, confrontés à des conditions de vie et de travail difficiles.
À 23 ans, Abou Sangaré pourrait déjà dire que Souleymane est le rôle de sa vie. Ce Guinéen, qui a vécu 1 000 tourments dans son périple pour venir en France, a été choisi pour incarner un livreur à vélo sans papiers prêt à tout pour être reconnu demandeur d’asile dans L’Histoire de Souleymane du réalisateur Boris Lojkine.
Depuis, tout s’est enchaîné : une sélection au Festival de Cannes, un prix d’interprétation… et un titre de séjour pour ce mécanicien et acteur non-professionnel. Et enfin donc, il y a eu cette soirée du 28 février à Paris, lors de la 50e cérémonie des César du cinéma au cours de laquelle Abou Sangaré a décroché le titre de Meilleure révélation masculine. Un parcours hors du commun pour celui qui s’imagine désormais une carrière dans le cinéma :
« De 2017 jusqu’en avril 2023, je n’avais presque plus de vie. Je ne me considérais pas comme un être humain. Vous savez, depuis que j’ai traversé la mer Méditerranée, tout ce qui est misère, tout ce qui est être humain, le bon comme le mauvais, je l’ai connu. »
Avec son interprétation, Abou Sangaré représente quantité de livreurs victimes de la misère
Dans le thriller social L’Histoire de Souleymane, Abou Sangaré campe un jeune livreur à vélo qui doit trouver quelle histoire raconter à l’Ofpra pour obtenir le statut de demandeur d’asile. Un scénario qui colle avec la réalité de beaucoup de livreurs. Ils sont nombreux, parmi eux, à être sans papier.
Rencontré dans les rues de Paris par Laurence Théault, journaliste au service France de RFI, Ibrahim n’a pas vu le film. Il faut bien avouer qu’il n’a pas vraiment le temps pour les salles de cinéma, avec toutes ces courses à vélo. Mais même s’il n’a pas vu L’histoire de Souleymane, il connaît bien le quotidien âpre et stressant d’un livreur sans papier : « Livreur, c’est un métier difficile hein. Il fait froid déjà, avec la pluie… On peut tomber, ou des fois, c’est la commande qui tombe… Des fois, les clients sont durs. Des fois, ils sont gentils. »
Dans la fiction, le personnage de Souleymane est soumis à la rouerie des profiteurs de misère et des semblables eux-mêmes à peine sortis de la précarité. De la même façon, Ibrahim enchaîne les livraisons et pédale jusqu’au bout de la nuit. Sans papiers, il est à la merci de ceux qui lui donnent du travail : « Ils en profitent. Ça fait huit ans que je suis en France. Je n’ai pas encore réglé les papiers. Il n’y a pas de rendez-vous ! »
Grâce au film, Abou Sangaré est aujourd’hui en situation régulière, et même césarisé. Avec un large sourire, Ibrahim le salue : « Il faut continuer pour envoyer des messages. Bravo Abou, continue ! » Ibrahim s’est promis d’aller voir le film, car c’est son histoire aussi qui est portée à l’écran.
Conakry est convaincue : « Abou Sangaré ira loin »
En Guinée, à Conakry, le succès d’Abou Sangaré n’est pas passé inaperçu. Cet acteur non professionnel est sorti des bois sacrés de la Haute Guinée avant de faire sensation en France, rappelle notre correspondant Mouctar Bah, qui a recueilli les témoignages enthousiastes de quelques Guinéens dans la capitale.
« Je félicite le jeune Sangaré pour sa persévérance. Je pense que c’est une fierté pour la Guinée. Mais au-delà de cette fierté, cela doit être une inspiration pour tous les jeunes qui se cherchent dans notre pays principalement. Il ne faut jamais abandonner », a déclaré un habitant de Conakry.
Le destin d’Abou Sangaré suscite l’admiration d’un autre compatriote : « Il est allé de façon innocente au casting de ce film. Il a été retenu. Pour nous, hommes de culture guinéens, c’est une bonne nouvelle. Cela veut dire qu’il y a du talent dans ce pays. » Avec enthousiasme, il ajoute : « Je pense que les autorités du ministère de la Culture doivent rapidement s’associer à cette belle victoire de l’industrie cinématographique guinéenne pour vraiment récompenser, féliciter et encourager Abou Sangaré. Je pense qu’il ira loin. »
« Je suis vraiment très heureux. C’est notre pays qui est mis à l’honneur. Vous le savez, la Guinée a toujours été le précurseur de la culture en Afrique. Malheureusement, la culture est un parent pauvre en Guinée. Mais je sais que les Guinéens, artistiquement et culturellement, forment une grande nation », conclut un troisième admirateur.
Source: rfi