Me Camara Kandet Oumar, président de la chambre des notaires de Guinée : « le rôle du notaire est de sécuriser une transaction »

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Nous avons récemment été reçus par Me Camara Kandet Oumar, président de la chambre des notaires de Guinée à son bureau situé à Kaloum. Les échanges entre l’officier ministériel et nous portaient non seulement sur ses récentes missions en France et au Maroc mais aussi sur l’exercice du notariat en Guinée, cet métier peu connu dans l’opinion. 

Animé d’un souci ardent de vulgariser le rôle du notaire en Guinée, Me Camara Kandet Oumar nous a expliqué l’importance du notaire dans le cadre de la sécurisation des transactions.

Me Camara Kandet Oumar, nos lecteurs ne vous connaissent pas.

Je suis Me Camara Kandet Oumar, Président de la chambre des notaires de Guinée. Je suis sur un mandat de trois ans. La chambre des notaires de Guinée est une faîtière des notaires de Guinée. Nous sommes aujourd’hui au nombre de quarante-cinq (45) notaires avec une compétence territoriale.

Agissant en qualité d’officiers ministériels, les notaires sont institués par la loi n°003 de 1985 qui régit la profession de notaire de Guinée.

Dans quel cadre le citoyen doit solliciter l’intervention d’un notaire ? 

Le notaire intervient en matière de famille pour la rédaction des contrats de mariage, la liquidation de la communauté, partage de succession et l’établissement de testament, il est spécialiste dans la rédaction des actes sur les biens immobiliers et les baux commerciales et dans le domaine des affaires la création des sociétés, les conventions d’hypothèques et tout cela par acte authentique.

Que faut-il pour être notaire ? 

Pour être notaire, il faut faire les études de droit privé ou le master et faire un stage de quatre années dans un office de notaire.

Au terme des 4 années, le postulant doit se soumettre à l’examen d’aptitude aux fonctions de notaire organisé chaque année par la chambre avec la supervision du ministère de la Justice et garde des Sceaux qui est notre Ministre de tutelle.

Nous avons fait un recrutement l’année passée, en 2023, avec les stagiaires qui sont arrivés au terme de leur stage. Nous essayons de couvrir tout le pays parce que sur les quarante-cinq notaires, la plupart sont à Conakry et notre ambition est de couvrir tout le pays.

En plus, nous avons des activités, des rencontres. Ensuite, quand on parle de notaire, c’est un métier vieux comme le temps.

Comment le notariat est organisé sur le plan international ? 

Nous sommes bien organisés sur le plan international. Il y a ce qu’on appelle l’Union Internationale de Notariat Latin qui regroupe tous les notaires du monde. Au niveau de l’Afrique, il y a la Commission des Affaires Africaine qu’on appelle la CAAF, la Commission des Affaires Africaines de l’Union Internationale de Notariat Latin. Pour le continent Américain, il y a la CAM, la Commission des Affaires Américaines. Vous devez comprendre par-là que nous sommes bien organisés à l’international.

Me Camara, vous rentrez fraichement de différentes missions de la France et au Maroc, expliquez-nous de quoi il s’agissait ?

 

A l’instar des autres auxiliaires de justice, la chambre des notaires de Guinée organise et participe à des universités et Congrès dans le cadre de notre adhésion et participation à des instances et institutions faîtières africaine et internationale régissant les notaires de parle le monde.

C’est dans ce cadre que s’inscrit notre participation en tant que Président de la chambre ainsi que la délégation de 10 notaires au 120éme congrès des notaires de France qui s’est tenu à Bordeaux en France du 25 au 28 septembre 2024 dont le thème était : »vers un urbanisme durable, accompagné les projets face aux défis environnementaux. »

Vous devez comprendre que, qui parle des questions de l’urbanisme durable, parle de l’environnement.

Aujourd’hui, nous tendons vers la verticalité de la copropriété immobilière, c’est-à-dire, les constructions en étage et l’aménagement des villes.

Ce sont ces différents points qui ont meublé le thème de Bordeaux. En marge du congrès, nous avons pris part à l’assemblée générale de l’Association des notaires de France pour le renouvellement des instances de d’administration.

 

Au sortir de ce congrès, un autre aussi était préparé, mais cette fois ci par la CAAF, la Commission des Affaires Africaines de l’Union Internationale de Notariat, donc entre nous, notaires africains. Cela se passe dans les différents pays, la Guinée aussi avait organisé ici à Conakry un congrès des notaires d’Afrique en 2016.

nous tendons vers la dématérialisation des actes

Le Maroc a cette fois ci organisé le 33ème congrès des notaires d’Afrique qui s’est tenu à Marrackhes du 23 au 27 octobre. Et là, le thème portait sur : le notaire et le numérique. 

Un thème d’actualité parce que, tout ce que nous faisons aujourd’hui dans le cadre de nos activités notariales, nous tendons vers la dématérialisation des actes. Et tous les pays sont engagés dans ce processus de dématérialisation des actes pour arriver à ce qu’on appelle aujourd’hui, zéro papier.

Le Maroc est très avancé dans ce domaine. Il sert d’école pour les autres notariats membre de la CAAF.

A ce propos, nous avons signer avec le Conseil supérieur de l’Ordre des notaires du Maroc, dans le sens de la formation des notaires de Guinée, soit au Maroc ou en Guinée.

Mais aussi et surtout faire bénéficier à la chambre des notaires de Guinée, Tawki, leur système de numérisation et dématérialisation des actes.

 

Me Camara, revenons à la rencontre de Bordeaux, le thème est tellement important, nous voulons savoir ce que cela vous a apporté ?

 

La question est pertinente. Comme vous l’avez entendu, on dit vers un urbanisme durable. Il y a un sous thème qui dit que vers cet urbanisme durable, comment accompagner les projets face aux défis environnementaux.

Le Congrès de Bordeaux nous appris beaucoup de choses en termes d’informations et de connaissances, non seulement sur l’urbanisation durable et l’accompagnement des projets d’urbanisation dans nos villes face aux défis environnementaux.

En Guinée, le Président de la République, Général Mamadi Doumbouya a engagé d’énormes projets de construction des infrastructures. Dans la mise en exécution, tous ces projets du Président de la République doivent tenir des défis environnementaux.

C’est dans ça que nous avons appris beaucoup de choses qui peuvent nous permettre aujourd’hui d’être en relation avec le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, de l’Environnement en terme de défi et de projets d’accompagnement sur le plan de l’urbanisation.

Nous allons non seulement partager cet acquis avec les autres notaires de Guinée mais aussi avec les ministères concernés pour voir ce que la Guinée va tirer de cet acquis.

 

Parlant du thème de Marrakes, en tant que président de la chambre des notaires de Guinée, quelles sont les dispositions que vous allez prendre pour faciliter l’immigration du notariat du papier au numérique ?

 

Le notaire et le numérique est un thème d’actualité. Je pense que la Guinée n’est pas en reste. Parce que vous avez dû entendre depuis l’arrivée du CNRD, ils ont mis en place un projet de numérisation du titre foncier. A un moment, ils ont arrêté la délivrance des titres fonciers en papier. Les experts marocains sont venus pour travailler sur le cadastre de la Guinée.

Aujourd’hui, vous avez vu les nouveaux titres fonciers, ils sont numérisés. On peut les scanner. Ils ont commencé de mettre en place toute la procédure d’immatriculation du titre foncier. La finalité aujourd’hui est que nous puissions avec la numérisation toutes la chaine du foncier en Guinée, en prenant en compte les notaires, les géomètres, les conservateurs fonciers du pays.

Par exemple, avec les notaires, dans leurs cabinets, les notaires arrivent à scanner tous les documents par l’internet, vous les envoyez automatiquement à la conservation sans vous déplacer.

Le conservateur qui reçoit les documents numérisés et il fait les formalités qui sied. La direction générale des impôts aussi n’est pas en reste, ils ont mis en place un portail numérique qu’on appelle E-TAX, actuellement les notaires arrivent à payer les droits et taxes de l’Etat par E-TAX sans prendre l’argent et déposer au niveau de la direction générale des impôts.

C’est pour vous dire combien de fois, la Guinée aussi est dans ce processus de numérisation et de dématérialisation des actes.

Ici, nous avons commencé un processus que nous allons finir, si nous continuons notre collaboration avec les experts et les techniciens marocains nous allons arriver aussi à ce niveau mais comme je vous ai dit au niveau de l’APIP, il y le Guichet unique pour la constitution des sociétés commerciales, la même procédure de dématérialisation a commencé a ce niveau avec les notaires, nous arrivons aujourd’hui a scanner et numérisé et envoyé les documents de constitution de société à l’Apipe notamment au niveau du Guichet unique sans se déplacer.

 

la numérisation est aujourd’hui un passage obligé

Pour vous dire que la numérisation est aujourd’hui un passage obligé. Si vous ne venez pas à la science, la science va venir à vous.

Aujourd’hui, le numérique touche tous les secteurs de développement. Parce que c’est un gain de temps et de procédure à tous les coups.

 

Dans l’opinion, le notariat n’est pas connu comme les avocats et autres mais à travers ce que vous venez de dire, ce métier est tellement important, il ne doit pas seulement être exercé à Conakry. Comment allez-vous faire pour couvrir le territoire national ?

 

Je vous remercie, c’est une question pertinente. Comme je l’ai dit, nous sommes une profession organisée, je suis à la tête d’une faîtière, la chambre des notaires de Guinée. On a un Président, en ma personne, un secrétaire général la personne de Me Kalissa Camara, un rapporteur, Me Morykè, un syndicat, Me Ansoumane Kalivogui et une trésorière.

 

« La loi dit que quand vous voulez acheter un terrain, aller chez le notaire »

 

Nous sommes dans un processus de couvrir le pays. Vous devez comprendre que dans le cadre des transactions immobilières, l’achat des terrains, même vous, quand on vous dit aujourd’hui, acheter un terrain, qu’est-ce qui vous vient à l’idée ? Aller chez le chef du quartier pour prendre la donation ou l’attestation de cession oui ou non ?

Alors que la loi ne dit pas d’aller chez le chef du quartier pour prendre la donation. La loi dit que quand vous voulez acheter un terrain, aller chez le notaire. Par ce que c’est un spécialiste du foncier. Le notaire a l’expertise, les moyens, la connaissance de vérifier le terrain que vous êtes en train de vendre ou acheter, c’est-à-dire, l’origine de propriété du terrain objet de vente.

Est-ce que ce terrain ne pourrait pas être objet d’expropriation pour cause d’utilité publique ? Est-ce que le chef de quartier sait çà ? Il ne sait pas.

Est-ce que le terrain n’est pas un domaine public maritime ? Le notaire fait toutes ces enquêtes. Si le terrain que vous voulez vendre a un titre foncier, le notaire demande une copie du titre foncier, il va écrire au conservateur pour lui demander monsieur Bah ou Mr CAMARA a un terrain, il prétend être le propriétaire, je vous demande monsieur le conservateur de bien vouloir regarder dans vos archives si exactement le titre foncier numéro……appartient bien à ce monsieur.

Le conservateur regarde dans ces archives, et répond au notaire que le titre foncier appartient bel et bien à monsieur Bah ou Mr CAMARA en bonne et due forme.

Le chef de quartier a la capacité de faire cela ? Le notaire fait toutes ces vérifications, il va loin jusqu’à vérifier l’origine de fond.

Après toutes ces vérifications, le notaire fait le contrat entre le vendeur et l’acheteur. Parce que le rôle du notaire est de sécuriser une transaction. Le notaire procède à la vérification en, amont, on n’attend pas qu’il ait contentieux. On sécurise la transaction. Nous on fait, ce qu’on appelle un acte authentique. Quand un notaire fait un acte authentique, il est censé être vrai jusqu’à preuve de contraire.

 

Supposons que vous allez chez le chef de quartier, vous lui donnez cinq millions comme honoraires, il vous donne un imprimé il met la photo de l’autre sur les deux copies. Il vous donne un simple petit papier ou un imprimé que vous appelé donation.

Pour un contrat, au minimum, le notaire vous rédige plus de 25 vingt-cinq pages, dès fois, avec les pièces annexées, le contrat de vente peut aller jusqu’à une cinquante de pages.

C’est ce que le chef du quartier vous donne en une seule feuille. Vous investissez des Milliards pour acheter un bien immeuble et vous vous faites délivrer un simple imprimé appelé donation, pensez-vous que vous avez un acte de vente cela ?

 « 75 pour cent des contentieux pendant dans nos cours et tribunaux portent sur le foncier »

C’est que vous oubliez, après, la même personne qui vous a vendu ce domaine, si vous ne construisez pas tôt, il revend là-bas encore à une autre personne. Le même chef de quartier délivre à cette autre personne une donation sur le même bien immeuble ou sur le même terrain pour dire simple.

Deux ou trois personnes se retrouvent autour d’un seul terrain et chacun réclame la propriété des lieux (rires.)  Et le contentieux commence.

On l’a dit, redit et martelé, les 75 pour cent des contentieux pendant dans nos cours et tribunaux portent sur le foncier. Les causes de cette situation résident dans ce que je viens de vous expliquer et qui se passe dans les quartiers avec les chefs de quartiers.

Alors qu’aucune loi ne dit que quand on doit acheter un terrain on doit aller chez le chef de quartier.

Seul en Guinée on procède de la sorte dans une transaction immobilière.

Cette interview d’abord s’inscrit dans ce cadre de sensibilisation et d’information des usagers de droit, de nos concitoyens et populations à tous les niveaux. Prochainement on va le faire dans les langues nationales de notre pays pour toucher les couches les plus éloignées.

Nous ne tirons pas le drap sur nous, nous avons notre responsabilité, c’est de mieux faire connaitre notre métier, notre profession de notaire au public : pour cela, il faut énormément bâtir une politique et stratégie de communication : sensibiliser, informer.

Aujourd’hui, on parle du blanchissement d’argent. Regardez par exemple à Kaloum, comment les immeubles ont poussé comme des champignons. Si quelqu’un vole des deniers publics dans les caisses de l’Etat ou l’argent issus de la vente de la drogue, cet argent est appelé, l’argent sale.

Il y a certains qui parviennent à inonder l’argent là dans le circuit financier pour le blanchir. C’est ce qu’on appelle le blanchissement d’argent. Mais comment les gens font pour blanchir l’argent là, ils achètent des immeubles. Quelqu’un peut venir acheter d’un coup un immeuble à 10 Milliards. En le faisant, il se débarrasse d’un fond dont on ne connait pas l’origine.

Il faut alors s’interroger sur l’origine de ces fonds. Nous les notaires, on vérifie tout cela. Chez le chef de quartier, les gens vont avec des sacs d’argent. Il n’a aucun moyen de vérification.

Et nous, nous avons des prérogatives de puissances publiques de l’Etat, une délégation de pouvoir de l’Etat pour conférer aux actes le caractère authentique.

Nous avons aussi reçu des formations et des outils de la part de la CENTIF pour faire face à tel cas et savoir le gérer.

 

Quelles sont vos relations avec le haut commandement de la gendarmerie qui vous invite dans certaines cérémonies ?

 

Vous devez comprendre que le notaire est aussi un auxiliaire de justice. Face à un OPJ (Officier de Police Judicaire), un acte du notaire, comment peut-il instruire une affaire avec un acte authentique d’un notaire si l’officier de police judiciaire n’a pas reçu une formation dans ce sens.

 

« depuis l’arrivée du CNRD, Général Balla Samoura nous invite à donner des cours à ces élèves gendarmes »

Par exemple, dans une transaction immobilière, qui a mal terminé et qui est constitutive d’un délit, l’officier de police judiciaire doit être outillé lors de sa formation académique pour pouvoir gérer un acte du notaire au niveau de l’enquête préliminaire.

Il serait difficile pour cet officier de traiter un tel dossier. Cela est parti d’une vision d’un grand Général aujourd’hui, qui est le Général Balla Samoura. Parce que c’est pendant son temps que le général pour la première fois dans le cadre des officiers gendarmes.

C’est lui qui a sollicité les notaires pour dispenser les cours sur le notariat et les actes du notaires à ces officiers gendarmes. Chaque année, depuis l’arrivée du CNRD, Général Balla Samoura nous invite à donner des cours à ces élèves gendarmes.

 

Votre mot de la fin

 

La dernière fois, le ministère de l’urbanisme et de l’habitat a fait les états généraux du foncier. Entre autres recommandations lors de ces Etats généraux du foncier est le toilettage du code foncier et domanial actuel. Ce texte date de 1992 et il a des insuffisances. Il faut que le nouveau code toiletté puisse dire clairement que toute transaction sur un bien immeuble doit être faite chez le notaire. Cela règlerait beaucoup de problème qu’on a aujourd’hui sur le foncier dans notre pays.

Interview réalisée par Minkael BARRY et Kèlètigui Rabat Camara