Dialogue en suspens : le rôle de Bah Oury dans la paralysie politique en Guinée (Par Minkael BARRY )

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Depuis sa nomination à la Primature au mois de Février dernier , Amadou Oury Bah, figure emblématique du paysage politique guinéen, semble jouer un rôle paradoxal dans l’évolution de la transition du pays. Son arrivée au gouvernement a ravivé des tensions qui étaient jusque-là latentes et a alimenté la perception d’un blocage politique. Tandis que son prédécesseur, Dr Bernard Goumou, s’est distingué par sa capacité à dialoguer avec les forces politiques, Bah Oury semble faire un choix radicalement différent : l’opposition au dialogue.

 

L’une des premières caractéristiques de la nomination de Bernard Goumou https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20221027-guin%C3%A9e-le-premier-ministre-%C3%A0-la-rencontre-des-diff%C3%A9rents-partis-politiques en tant que Premier ministre était son approche inclusive.

Il se rendait fréquemment dans les quartiers généraux des partis politiques dans le souci de construire une transition purement inclusive.

Cette démarche, bien qu’optimiste et constructive, visait à tisser des liens de confiance, à établir un dialogue continu entre le gouvernement et les partis politiques, et à éviter l’exacerbation des tensions. Cela renforçait la stabilité politique et le sentiment de démocratie participative dans un contexte de transition délicate.

À l’inverse, avec l’arrivée de Bah Oury à la tête du gouvernement, un changement radical de ton s’est opéré. Bah Oury, ancien ministre de la réconciliation nationale sous le régime de feu Général Lansana Conté, incarne un pragmatisme politique teinté de méfiance ou je ne sais de « mepris ».

Celui qui a été un des acteurs du processus de réconciliation dans les années 2008 semble aujourd’hui prendre un virage plus radical. À la différence de son prédécesseur, Bah Oury a cessé d’être le « pont » qui unissait les différents acteurs politiques du pays. Bien qu’il ait une longue expérience politique, il semble avoir choisi de faire dos au dialogue avec les partis politiques et les autres acteurs de la société civile.

 

Cela soulève une question fondamentale : Bah Oury cherche-t-il à résoudre les tensions politiques actuelles ou est-il, au contraire, en train de nourrir la division pour des raisons personnelles et stratégiques ? Cette attitude de fermeture à la discussion pourrait-elle constituer une forme de « règlement de comptes » avec ses anciens alliés d’hier ?

Bah Oury n’est pas un nouveau venu sur la scène politique. Il fait partie des figures historiques de la Guinée et a joué un rôle important dans les événements politiques depuis des années « 90 ».

Ministre de la réconciliation nationale de mai 2008 à décembre 2008, il avait la lourde tâche de mettre fin aux tensions politiques et ethniques qui secouaient la Guinée après le régime dictatorial de Sékou Touré, de la répression de juillet 1985. D’ailleurs,  en son temps, il a même restitué les corps de certains cadres  ressortissants d’une région du pays tués dans des conditions barbares à l’époque.

Au mois d’octobre 2008, dans l’enceinte du sinistre camp Boiro, à la présence du doyen feu Bah Mamadou, et feu  Général Facinet Touré, pendant un événement organisé par AVCB, les victimes du camp Boiro,  il a déclaré  que : » l’Etat est responsable des crimes politiques commis en Guinée de 58 à nos jours. »

Quel courage d’un ministre en exercice dans un régime presidé par un Général!

Cependant, aujourd’hui, après avoir été nommé à la primature,  il semble que l’homme cherche plus à se repositionner comme un acteur central, non pas dans un rôle de rassembleur, mais dans une posture d’affrontement.

 

L’absence de dialogue véritable sous la houlette de Bah Oury n’est pas simplement une question d’attitude. Elle est symptomatique d’une volonté de contrôle politique qui semble ignorer les principes fondamentaux d’une transition démocratique. La paralysie politique actuelle, marquée par l’absence de consultations effectives entre les différents acteurs politiques, entraîne des conséquences désastreuses pour le pays. Ce silence radio des autorités, allié à l’inaction de Bah Oury, creuse le fossé entre le gouvernement et les traditionnels  partis politiques.

Cela soulève aussi des interrogations sur la véritable nature du pouvoir dans le pays. La manière dont Bah Oury a choisi de gérer la situation politique en Guinée met en lumière un aspect plus sombre de la politique guinéenne : la tendance à jouer les cartes personnelles au détriment des intérêts collectifs. À travers son attitude actuelle, il semble qu’il cherche non seulement à affirmer sa position au sommet du gouvernement, mais aussi à s’assurer qu’il sera l’unique bénéficiaire des concessions politiques, plutôt que d’encourager un processus d’ouverture et d’inclusivité.

 

Ce manque d’engagement envers le dialogue pourrait-il être une forme de règlement de comptes avec les acteurs politiques qu’il a jadis côtoyés, mais qui sont aujourd’hui dans des camps opposés ? Il est indéniable que Bah Oury a une histoire politique complexe, marquée par des alliances fragiles et des ruptures.

Au-delà de ces questions, ce blocage dans le dialogue politique ne fait qu’accroître l’insatisfaction populaire. La transition, qui aurait dû être l’occasion d’une nouvelle ère pour la Guinée, est aujourd’hui enlisée dans des querelles intestines et des divisions internes. Les Guinéens, qui attendaient de leurs dirigeants un engagement sincère pour la paix, la justice et le progrès, se retrouvent frustrés et inquiets face à un gouvernement qui semble plus préoccupé par la consolidation de son pouvoir que par une  » refondation  » inclusive.

Enfin, la position de Bah Oury soulève des interrogations plus larges sur la nature même de la transition. Si l’objectif est de créer une démocratie participative, alors il est impératif de promouvoir un dialogue ouvert et inclusif, non pas pour satisfaire des intérêts personnels ou partisans, mais pour garantir la stabilité du pays et la volonté du peuple. Bah Oury, avec son expérience et son statut d’acteur clé de l’histoire politique de la Guinée, a la responsabilité de prendre une décision stratégique pour sortir de l’impasse actuelle.

Ce n’est qu’à travers une approche plus ouverte et respectueuse de l’inclusivité que la Guinée pourra espérer sortir du cycle d’instabilité et d’incertitude dans lequel elle est enfermée.

Par Minkael BARRY