Dans un rapport intitulé « Kush en Sierra Leone : Le défi croissant des drogues synthétiques en Afrique de l’Ouest », « Global initiative against transnational organized crime » (l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale, GI-TOC) révèle, pour le déplorer, l’ampleur croissante de la consommation du kush en Guinée .
Cette drogue apparue en Sierra Leone s’est rapidement répandue dans les pays de la sous-région, tels que le Liberia, la Guinée, la Gambie, la Guinée-Bissau et le Sénégal.
Mouhamadou Kane, analyste à GI-TOC, soutient que la composition du kush est assez unique et sans précédent, comparativement aux autres drogues synthétiques telles que le tramadol, l’ecstasy… que l’on retrouve dans la sous-région.
“En 2023, il y a eu 35 morts, en 2024 il y a eu 18 morts et cette année, dans la première semaine du mois de juin, nous avons enregistré 8 morts dans la capitale, Conakry”
« Les tests effectués montrent que le kush est plus dangereux que ces drogues par sa composition. Il est composé principalement de deux substances : le cannabinoïde synthétique et le nitazène, une substance très nocive, 25 fois plus forte que le fentanyl qui fait des ravages aux États-Unis », explique cette source.
Ces deux substances sont importées d’Asie (Chine) et d’Europe (Pays-Bas…), précise l’analyste. « C’est ce même nitazène, contenu dans le kush, que les jeunes consomment dans la sous-région, ce qui fait qu’aussitôt après avoir consommé ces drogues, si vous n’êtes pas chanceux, vous mourrez », dit-il.
« En 2023, il y a eu 35 morts, en 2024 il y a eu 18 morts et cette année, dans la première semaine du mois de juin, nous avons enregistré 8 morts dans la capitale, Conakry », corrobore Thierno Bah, addictologue et directeur général de l’Institut itinérant de formation et de prévention intégrée contre la drogue et autres conduites addictives (IIFPID) en Guinée.
Selon ses explications, la consommation du kush entraine de nombreux effets nocifs sur l’organisme. Une fois consommée, la drogue peut affaiblir physiquement jusqu’à ce que mort s’ensuive. « Vous constatez une sueur abondante qui coule sur vous, la prostration. Il y a aussi une difficulté respiratoire qui peut conduire à l’asphyxie », soutient l’addictologue.
A Conakry, la commune de Matam est la plus touchée par les cas de décès liés à la consommation du kush, indiquent les responsables locaux. « Tous les jours, on retrouve des corps sur le littoral et parfois, les enfants parviennent à les extraire des mangroves », déplore Ousmane Camara, chef du quartier Matam Lido.
« Je suis dans la consommation de cette drogue depuis quelques années. Malheureusement, je suis tout le temps malade, fatigué. Ma vie est détruite. Je sais que ce n’est pas bon pour ma santé, mais je me sens parfois à l’aise quand je prends cela », témoigne Cheik Oumar Camara, jeune Guinéen qui souffre d’addiction à cette drogue.
Le jeune homme se rend régulièrement au débarcadère de Matam à Conakry pour ses consommations régulières. Conscient des effets nocifs de cette drogue sur sa santé, il affirme pourtant être « dans l’impossibilité d’abandonner ».
Abdoulaye Diaby, chauffeur de taxi, âgé de 19 ans, partage la même addiction au kush. C’est au port de Boulbinet, situé dans la commune de Kaloum, toujours à Conakry, qu’il se procure quotidiennement sa dose.
« Quand je circule un peu dans la matinée, je viens me reposer ici parce que très souvent pendant la journée, il y a moins de clients. C’est mon endroit préféré, car c’est ici que je viens partager quelques boules avec des amis. Mais sincèrement, ça commence à jouer sur moi. Je deviens de plus en plus accro à la chose », confie-t-il à SciDev.Net.
Les débarcadères de Conakry sont les principales portes d’entrée du kush dans le pays. « Quand la drogue quitte la Sierra Leone, elle entre facilement en Guinée par les différents débarcadères de la capitale… Les réseaux criminels ont compris qu’il y a une faille au niveau de la surveillance ; ils préfèrent passer par ces débarcadères plutôt que de passer par la voie routière », relève Mouhamadou Kane.
De son point de vue, l’accessibilité et le caractère addictif du kush expliquent, entre autres, le succès de cette drogue en Guinée. « Elle est accessible aux jeunes et assez addictive. Le prix n’a jamais changé depuis son apparition. Elle coute 5000 francs guinéens (moins d’un dollar américain). Dès que vous en consommez une seule fois, vous avez envie d’en prendre une nouvelle fois, et ceci est dû à la composition de la drogue », précise-t-il.
Ibrahima Aminata Diallo, enseignant de sociologie à l’université de Sonfonia à Conakry, souligne que la dépendance des jeunes guinéens vis-à-vis de la drogue est un véritable danger pour le pays.
« Cette jeunesse dont nous parlons, si c’est sur elle que nous comptons pour l’avenir de la Guinée, je pense qu’il n’y a pas de relève. C’est une réalité qui est là aujourd’hui », analyse-t-il.
Le sociologue estime qu’il faut intervenir dans les lieux où ces jeunes se livrent à la consommation des stupéfiants. « Il faut s’interroger sur la porosité de nos frontières. Comment la drogue arrive à passer pour parvenir aux consommateurs ? Il faudrait qu’il y ait un contrôle pour pouvoir sauvegarder la vie et la sécurité des citoyens », dit-il.
« Tout le monde peut s’en servir comme des cacahuètes ; voilà pourquoi les conséquences sont là. Il faut que les autorités revoient tous les accès à la Guinée parce que tous ceux qui sont en train de mourir sont des jeunes de moins de trente ans ».
Pour l’universitaire, il faut ensuite punir les vendeurs à la hauteur de leur forfaiture. « Et tous ceux qui vont être pris dans la consommation, qu’ils montrent où ils l’achètent pour que la chaine soit brisée », insiste-t-il.
Mouhamadou Kane ajoute qu’une coopération sous-régionale est nécessaire pour démanteler les réseaux de trafic du kush. À l’en croire, s’il n’y a pas une collaboration entre les différentes polices aux frontières pour le partage des informations, le trafic de cette drogue extrêmement dangereuse, ne pourra pas s’arrêter.
Un autre aspect, poursuit-il, porte sur une surveillance accrue au niveau des ports d’origine et des ports d’arrivée. « Il faut mettre l’accent sur la surveillance des marchandises dans lesquelles les substances sont souvent dissimulées. Il faut également procéder au démantèlement des réseaux criminels, parce que tant que cette chaine n’a pas été détruite ou affaiblie, il y aura toujours ce flux », prévient-il.
Il estime également que les États doivent tout faire pour réduire les risques sanitaires liés à la consommation du kush et permettre aux jeunes d’avoir accès aux produits de substitution pour les aider à surmonter ces épreuves.
Le directeur général de l’IIFPID affirme, quant à lui, que l’Institut multiplie les actions de sensibilisation dans les universités, débarcadères et à l’intérieur du pays, en collaboration avec la police technique et scientifique, pour lutter contre ce phénomène.
Source: SCIDEV