Accueil POLITIQUE « Nul n’entre au Palais Sékhoutouréya s’il n’est riche » : Faut-il...
« Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Cette inscription légendaire, attribuée à Platon et gravée au fronton de son Académie d’Athènes, marquait l’exigence intellectuelle
comme condition d’accès au savoir philosophique.
Plus de deux millénaires plus tard, en République de Guinée, une autre exigence s’impose aux prétendants à la magistrature suprême : celle de la capacité financière. La récente décision de la Direction Générale des Élections (DGE) fixant la caution présidentielle à 900 millions de francs guinéens soulève une question fondamentale : l’accès au Palais Sékhoutouréya est-il désormais conditionné à la richesse plutôt qu’au projet politique ?
L’analyse comparative des quinze dernières années électorales guinéennes révèle une tendance préoccupante.
Lors de la présidentielle du 27 juin 2010, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) avait fixé la caution à 500 millions de francs guinéens. En 2015, ce montant était porté à 800 millions. Il demeurait inchangé en 2020, à 800 millions également.
Aujourd’hui, la DGE franchit un nouveau palier en établissant la caution à 900 millions de GNF pour le scrutin du 28 décembre 2025, soit une augmentation de 12,5% par rapport aux deux élections précédentes et de 80% depuis 2010.
Cette progression interroge : s’agit-il d’une simple indexation sur l’inflation et les coûts opérationnels du processus électoral, ou assistons-nous à l’émergence d’un filtre économique limitant progressivement l’accès à la compétition présidentielle ?
La décision rendue publique ce 21 octobre par la Directrice Générale de la DGE, Mme Camara Djenabou Touré, s’inscrit dans un cadre juridique précis. Conformément à l’article 277 du Code électoral, les candidats disposent d’un délai strict : le versement doit être effectué au plus tard cinquante jours avant le scrutin, soit avant le 8 novembre 2025, sur le compte bancaire du Receveur Central du Trésor (compte n° 0011902011000136-10).
Au-delà de la caution, c’est le plafonnement des dépenses de campagne qui constitue l’innovation majeure de cette régulation. L’Article 3 fixe le budget maximum par candidat à 40 milliards de francs guinéens, avec une interdiction formelle de dépassement sous peine de sanctions prévues par le Code électoral.
Le dispositif mis en place mérite d’être salué pour sa volonté de transparence. La création obligatoire d’un fonds électoral distinct et l’ouverture d’un compte de campagne auprès d’un établissement bancaire agréé constituent des avancées notables en matière de traçabilité financière.
Cette exigence répond à une préoccupation légitime : garantir que les ressources mobilisées pour la conquête du pouvoir proviennent de sources légales et transparentes.
Dans un contexte régional où le financement opaque des campagnes électorales demeure un enjeu démocratique majeur, ces mesures de contrôle s’avèrent nécessaires.
Il convient également d’examiner l’argument avancé par certains observateurs pour justifier le montant de 900 millions de francs guinéens.
Selon cette perspective, une caution substantielle servirait de mécanisme de filtrage, destiné à écarter les candidatures fantaisistes et à préserver le sérieux d’une fonction aussi prestigieuse que celle de Président de la République de Guinée.
Cette logique n’est pas dénuée de fondement. Dans plusieurs démocraties, la caution électorale remplit effectivement une double fonction : elle atteste de la crédibilité minimale d’une candidature et dissuade les aventuriers politiques qui pourraient encombrer le processus électoral sans projet cohérent ni base sociologique réelle.
La présidence d’une nation n’est pas une tribune ouverte à toutes les expressions individuelles. Elle exige une légitimité politique, une organisation structurée et une capacité de mobilisation démontrant un ancrage effectif dans le corps électoral.
Toutefois, cette justification soulève une interrogation cruciale : où placer le curseur entre la sélection légitime des candidatures sérieuses et l’exclusion arbitraire de porteurs de projets légitimes mais dépourvus de moyens financiers importants ?
La capacité à réunir 900 millions de francs guinéens atteste-t-elle nécessairement de la qualité d’un projet politique ou simplement de l’accès à des réseaux de financement ?
Toutefois, une interrogation persiste : ces barrières financières, aussi légitimes soient-elles dans leur principe, ne risquent-elles pas de transformer la compétition présidentielle en un privilège de classe ?
Avec une caution de 900 millions et un plafond de dépenses de 40 milliards, la somme potentielle totale mobilisable pour une candidature atteint 40,9 milliards de francs guinéens.
Pour mettre ce montant en perspective, il équivaut à plusieurs décennies de salaire cumulé pour la majorité des citoyens guinéens.
Cette réalité soulève une question éthique : la démocratie peut-elle se satisfaire d’un système où seuls les candidats disposant de réseaux financiers puissants peuvent prétendre légitimement à la présidence ? Le risque est réel de voir émerger une « oligarchie électorale » où la richesse devient le premier critère de sélection, reléguant au second plan la qualité du projet politique, la compétence gestionnaire et la vision stratégique pour le pays.
D’autres démocraties ont su concilier transparence financière et accessibilité électorale en instaurant des mécanismes de financement public partiel des campagnes, en réduisant les cautions pour les candidats présentés par des partis ayant une représentation parlementaire significative, ou en remboursant la caution aux candidats atteignant un seuil minimal de suffrages.
La Guinée gagnerait à s’inspirer de ces modèles pour élargir le spectre des candidatures légitimes sans sacrifier les impératifs de sérieux et de traçabilité financière.
Car si Platon exigeait la maîtrise de la géométrie pour accéder à la sagesse philosophique, la démocratie moderne ne saurait conditionner l’accès à la responsabilité publique à la seule capacité financière.
La décision de la DGE marque indéniablement un progrès dans l’encadrement des dépenses électorales et la lutte contre les financements opaques. Toutefois, elle ouvre également un débat crucial sur l’équilibre entre régulation et inclusion démocratique.
À l’approche du scrutin du 28 décembre 2025, il appartient aux acteurs politiques, à la société civile et aux institutions de prolonger cette réflexion : comment garantir que l’élection présidentielle demeure une compétition ouverte aux meilleurs projets, indépendamment de la fortune personnelle de leurs porteurs ?
Car au-delà des chiffres et des règlements, c’est la nature même de la démocratie guinéenne qui se joue : sera-t-elle une démocratie de compétences et d’idées, ou une démocratie de moyens financiers ?
Minkael Barry