Commission d’enquête : Monsieur Damantang la commission d’enquête revient avec un gros retard mais ce retard était utilisé pour continuer les enquêtes au niveau de Conakry avec beaucoup de recherches et nous pensons que ce retard aussi a permis à vous tous de réfléchir, de méditer vraiment la situation et tirer des conclusions de votre arrestation. Vous avez déposé à l’intérieur de la maison (…), vous rejetez certainement certaines choses dans les critiques et autocritiques. Nous sommes venus donc avec une série de questions que nous allons vous poser de nouveau. Première question : En détention il y a neuf mois, quelles sont vos réflexions dans le contexte du changement intervenu dans votre propre esprit d’une part et d’autre part l’atmosphère au niveau de la maison d’arrêt en général votre chambre en particulier ?
Damantang Camara : Je voudrais tout d’abord dire que nous vivons dans un contexte que je peux appeler exceptionnel. Je ne suis pas un habitué de la situation que je vis actuellement mais on peut deviner facilement que lorsqu’un changement intervient dans un Etat, que les anciens membres du gouvernement se retrouvent ensemble en détention, l’atmosphère qui règne dans ce milieu – on peut imaginer facilement que généralement ça évolue dans un sens non favorable au gouvernement qui a pris le pouvoir. Mais je suis sûr que mes camarades de détention partageront le même sentiment que moi parce que quand on change de situation on se livre à des réflexions, on se demande pourquoi.
Ce qui m’a surtout frappé, moi, personnellement dans cette maison d’arrêt c’est l’orientation que prennent toutes les conversations. Je crois savoir que dès que nous avons été arrêtés nous avons demandé le soir même, le lendemain même de notre arrestation à écrire au Comité Militaire. Et l’officier qui nous surveillait ce jour-là nous a dit vous pouvez bien écrire mais pas de façon collective, vous pouvez écrire. Pour moi dès que j’ai écrit j’ai d’abord indiqué que j’acceptais le fait accompli et que je me mettais à la disposition du Comité Militaire. Mais par la suite, quand nous sommes arrivés à Kindia, nous avions l’impression de vivre un climat d’autocritique… Quand nous sortions dans la cour, on se mettait à causer. Tous ceux qui parlaient, et cela m’a frappé, relevaient tel ou tel fait qui était négatif. Ce qui nous a amenés aussi bien que moi j’en ai conclu que c’était une autocritique. Mais je ne me souviens pas avoir entendu quelques diatribes contre le gouvernement en place. Cela veut dire que, consciemment, nous nous sommes reprochés des faits. C’est-à-dire nous avons senti que nous n’avons pas été à la hauteur de la situation. Cela est facile à expliquer, je vous dis franchement, hors du gouvernement depuis 10 ans et que depuis 74, à l’Assemblée nationale, je vous dirai franchement qu’aucun ministre guinéen n’était responsable de son département, personne ne pouvait prendre d’initiative pour aller de l’avant. À chaque pas on était bloqué, et je crois que c’est ça qui a poussé la presque totalité des détenus à orienter leurs critiques vers notre propre responsabilité, et cette responsabilité, je puis l’affirmer, le Président défunt la détient seul. Parce que tout le monde l’accuse et moi personnellement, j’ai eu à plusieurs reprises à intervenir en plein Conseil pour dire que j’avais très peur, que nous ne faisions rien de positif, que nous piétinions et que le pays ne progresse pas. J’ai posé cette question: «Le jour de la présentation du bilan, qu’est-ce que nous allons montrer au peuple ?» Le Président Sékou Touré est entré dans une colère furibonde, et que nous n’étions pas au Bureau politique mais en Conseil. Il s’est retourné vers les autres et il a posé la question : «Vous l’entendez ? Il emprunte maintenant le langage des contre-révolutionnaires.» Il dit : «Mais je te répondrai en Bureau Politique.»
Cela m’a effrayé parce que je connais les précédents. J’ai aussitôt demandé à deux camarades quand on a levé la séance, de le suivre dans son bureau, pour lui présenter mes excuses. Vous pouvez demander à mes collègues, ils m’ont tous félicité, j’ai dit tout haut ce que chacun pense, et ne dit pas. C’est justement pour cela que les conversations dans l’enceinte de la prison ici étaient orientées vers l’autocritique. Et j’ajouterai que nous en savons gré au Comité Militaire de Redressement, du traitement humain dont nous avons bénéficié. Depuis la dernière visite dont vous nous avez fait l’honneur, en fin septembre de nous rendre en fin septembre, le moral est très bon. Nous avons espéré, cela a été pour nous un ballon d’oxygène et le Président aussi nous a envoyé à deux reprises un officier pour s’enquérir de nos nouvelles. Cela nous a vivement frappés et nous avons là saisi vraiment le sens humain que vous nous donnez et cela a beaucoup contribué à donner une nouvelle pensée à l’ensemble des détenus de tout âge que nous sommes. Voilà pour la première question.
Commission d’enquête : Dans votre précédente déclaration vous avez fait état de l’échec économique enregistré. Cependant vous, vous avez appartenu et pour toujours si on peut le dire, au Bureau Politique National, qui a été l’organe de conception de tous les programmes de développement économique de notre pays. Moralement, la responsabilité de ces échecs vous ne la partagez pas avec vos coéquipiers ?
Je crois avoir répondu en partie à cette deuxième question. Mais je voudrais dire que le Bureau Politique n’est pas un organe de conception essentielle. Il peut concevoir mais il est contenu dans un contexte. Le Bureau Politique conçoit soit pour le congrès soit pour le Conseil National de la Révolution. C’est ainsi que lorsque nous avons une réunion du Bureau Politique, bien sûr, chacun a droit à la parole, vous pouvez dire ce que vous voulez, on discute en long et en large, ça dépend de la question qui est inscrite à l’ordre du jour, mais le Secrétaire Général voudrait bien que les décisions qui se prennent cadrent avec sa propre conception. Cela est «in-dis-cutable». Nous avons eu souvent des séances houleuses, il y a le registre des procès-verbaux, moi je suis le Secrétaire Permanent, c’est moi qui tiens la plume là-bas, des procès-verbaux. Vous pouvez assister aux discussions, vous pouvez les lire, lire les procès-verbaux. Il est quelquefois mis en minorité, parce que si les autres, sur 17 membres, si les 16 disent qu’il faut faire comme ça lui seul, il n’est pas convaincu dès fois, il peut refuser, aussi étonnant que cela puisse paraître. Mais comment refuse-t-il ? Il ne le dit pas là-bas: «Vous m’avez mis en minorité, je refuse». Mais il dit «Bon, vous ne m’avez pas convaincu. Vous êtes tous braqués mais vous ne m’avez pas convaincu. Bon, allons devant le peuple. On va au Palais du peuple, par exemple en Conseil National de la Révolution».
Vous avez là tous les membres du Comité Central, vous avez toutes les fédérations, vous avez tous les comités nationaux. Il repose le problème entre-temps peut-être qu’il s’est arrangé avec un ou deux pour que celui-ci demande la parole. Celui-ci demandant la parole expose son point de vue qui cadre avec celui que lui il veut. À ce moment-là il pose la question de savoir quels sont ceux qui sont pour ce point de vue, ou bien il peut donner la parole à d’autres personnes encore. Mais c’est déjà préparé. Il demande la parole … il donne la parole pour demander quels sont ceux qui sont pour tel ou tel point de vue. Le point de vue que lui il a exprimé, si celui-ci remporte la majorité, et ça remporte toujours la majorité parce qu’il prépare. Il discute d’abord avec certaines fédérations et ces fédérations là l’adoptent en majorité. Quand c’est adopté, le Bureau Politique n’a plus voix au chapitre. Et nous sommes obligés de l’appliquer. Parce que le Bureau Politique est l’organe d’exécution, c’est l’organe exécutif. Il agit sur instruction, sur décision du Conseil National de la Révolution ou du congrès ou même du CRR. Quand un CRR se tient au Palais du peuple, quand il prend une décision cette décision est exécutoire, elle n’est pas discutable. Si vous demandez aux autres collègues ils vous diront : Nous n’étions pas d’accord. Il y a des retards qu’on peut expliquer difficilement. Je prends un exemple : comme le barrage de Kamarado, moi en tant que Secrétaire Permanent je vais en mission à Moscou je rencontre «Palamarof» qui est le Secrétaire Permanent du Parti Communiste de l’Union soviétique. Nous parlons de coopération, il rejette la responsabilité sur nous. Il dit : «Vous ne voulez pas qu’on travaille ? Vous ne voulez pas qu’on fasse quelque chose ?» C’était en 1979, et il m’a dit : «Il y a longtemps que nous nous avons terminé, nous avons signé une convention, on a terminé l’étude de faisabilité de ce barrage qui est en mesure de … de donner la lumière à toutes les villes de la Forêt jusqu’à Kankan, vous ne voulez pas qu’on le fasse.» Simplement parce que lui a dit que c’est trop cher. Nous lui avons répliqué qu’il n’y a pas d’Etat au monde qui n’est pas endetté. Si on n’a peur des dettes, on n’avance pas. Ce barrage devait être terminé avant 82. Il n’a jamais été réalisé. Et aujourd’hui si vous demandez le coût du barrage, c’est quatre fois plus que ce que nous devions payer. Et ce que nous devions payer c’était une dette étalée sur plusieurs années. Nous serions en train de payer une somme 4 fois inférieure à celle que nous devons payer aujourd’hui. Demain on peut pour d’autres actions, chaque fois que ça se soulève, nous voulons agir, il nous bloque. C’est-à-dire que, vraiment aucun de nous n’est convaincu d’avoir la pleine, une partie des responsabilités, à assumer pour le retard économique que nous avons subi. Parce que chacun était décidé, il était devenu tellement soupçonneux que quand vous présentiez un projet, il pense que vous avez un certain intérêt derrière.
La dernière fois qu’on m’a posé la question ici, de savoir que le Président a dit que ses ministres ont des comptes à l’extérieur, que lui il a la liste. J’ai dit ici que s’il avait la liste là, il allait humilier tous ceux qui étaient intéressés. Il allait les humilier. Alors si bien que les gens étaient découragés maintenant pour venir le trouver avec des projets. Donc nous nous estimons que c’est lui qui a la responsabilité.
?Commission d’enquête : Ça c’est votre estimation (…)
Oui
Commission d’enquête: (…) Mais le peuple de Guinée, tout entier, rend responsables Sékou Touré, son système et ses compagnons de lutte y compris son gouvernement, de l’échec économique, du marasme économique, des génocides que notre pays a enregistrés car vous vous avez une conviction. Des gens qui sont idéologiquement formés qui ont suivi votre action, vos différents débats, qui ont eu la chance de vous observer, peuvent comprendre comme vous. Mais ma foi, celui qui a la daba vers Dalaba, vers Siguiri, vers Kouroussa, vers Kissidougou, auquel on ne cessait de réclamer l’unique génisse qu’il avait dans son parc, lequel … auquel on ne cessait de réclamer le dernier grain dans son grenier, le dernier grain de semence dans son grenier là-bas, celui-là même qui abandonnait son champ pour vous applaudir à la réception. On ne peut pas leur faire avaler que vous vous n’êtes pas responsables de cet échec-là. C’est seulement le Président défunt qui est responsable. On ne peut pas le faire comprendre ça. Un autre aspect, que la population ne comprend pas que les élections se fassent de la base au sommet qu’on désigne des gens et qu’elle vote pour vous, pour la représenter auprès des instances suprêmes d’abord au Comité Central et ensuite au Bureau Politique et qu’elle estime que c’est vous qui devez défendre ses intérêts mais si vous vous laissez embobiner, excusez-moi du terme, par un seul homme, vraiment le peuple ne peut pas comprendre parce que le peuple vous a fait confiance pour défendre les intérêts de ce même peuple, si vous maintenant vous n’arrivez pas à le faire donc il estimait que vous auriez dû vous démettre de vos fonctions pour mettre d’autres personnes, parce que vous avez été élu normalement et plébiscité. Donc il ne comprend pas comment un homme ait pu mener des gens sur lesquels le peuple a compté. Maintenant le problème, parce que dans le BPN, nous devons la vérité de vous dire qu’il y avait quelques-uns même dans l’anonymat qui avaient le courage de persévérer sur la vérité. Je cite entre-autre, le regretté Saïfoulaye Diallo. Nous avons devant nous plus de cinq lettres de lui, des lettres par lesquelles il confortait des faits, des lettres par lesquelles, avec insistance et courage, il s’élevait contre certaines pratiques entre-autres je peux vous lire, cette lettre-là qui est intervenue à un moment où aucun homme guinéen ne pouvait élever la voix, contre les arrestations arbitraires, contre les exécutions sommaires, contre les multiples condamnations, contre les groupes de la fameuse du 5e colonne. Voilà comment la lettre est libellée.
Citation Saifoulaye Diallo, il l’appelait Camarade Président …? il a fait des tralalas, des préambules, il a dit ici. Citation du Camarade Sékou Touré, Secrétaire Général du PDG: «La chose que je hais le plus au monde c’est l’injustice, soyez juste même à l’égard de votre pire ennemi qui après avoir pris une décision vous rendez compte que vous avez fondé votre jugement sur les éléments d’appréciation erronés, il faut avoir le courage de revenir sur la décision afin de réparer l’injustice et ne jamais vous enfermer sur des positions d’amour propre pour certifier l’injustice. La justice est le fondement de notre régime populaire et démocratique.» fin de citation.
Maintenant, c’est Saïfon qui parle :
{-Ce sont les considérations de ces nobles principes et à cause de ton amour tyrannique de la justice que je te supplie de créer à ton niveau, un complément de commission d’enquête déjà existantes, une commission spéciale chargée exclusivement de revoir au peigne fin, premièrement les dossiers de tous les agents de la cinquième colonne, jugés par les équipes dirigées par le sinistre Émile Cissé y compris les cas des accusés qui auraient déjà été exécutés. Deuxièmement les dossiers de tous les détenus arrêtés sur dénonciations des agents de la cinquième colonne, interrogés par la même équipe.
J’ai aujourd’hui l’ultime conviction qu’Émile Cissé a fait dire par la torture tout ce qu’il a voulu par l’ensemble des détenus laissés à sa merci. À cet égard, je suis hanté à l’idée que des innocents aient pu être exécutés alors que j’ai la certitude absolue qu’il y a encore actuellement de nombreux innocents détenus dans nos prisons, victimes du machiavélisme satanique d’Émile Cissé et de ses pareils.
Il marque entre parenthèses:
«Il y en a infiltré le sein des commissions d’enquêtes. Je pensais que depuis le neuvième congrès et surtout à la suite de nos entretiens à trois. Je suis littéralement obsédé par cette question. Autant que possible les membres des anciennes commissions d’enquêtes devraient être écartés de cette commission spéciale. Très fraternellement, le 2 novembre 1972».
Alors là, comme vous devez vous rendre compte, ça c’est un écrit (…) que quelqu’un qui n’a pas le courage ne pouvait pas le faire. Et je le dis ici, on a plusieurs lettres de ce genre de lui. Les lettres par lesquelles il s’élevait catégoriquement contre certaines pratiques. Voilà des lettres encore ici.
Suivez là là. Et là il a dénoncé les pratiques que vous venez d’avancer ici comme argument pouvant vous disculper.
Voilà, Je viens de prendre … PRG, je viens de prendre connaissance de ta lettre. Après les éclaircissements (…) voici quelques précisions:
Premièrement le pouvoir discrétionnaire n’a jamais été mis en cause et ne le sera certainement jamais par moi car je le souhaite plus que tout autre dans l’équipe.
Deuxièmement, ce que je déplore dans les faits c’est l’attitude de la fonction publique après que tu m’aies révélé que Goa et Laye Bangaly sont tous deux de Faranah. Je suis maintenant plus convaincu encore que si la fonction publique avait pris la précaution d’attirer son attention sur les faits suivants
Petit 1, que Goa n’a jamais été licencié il devait comparaître d’un moment à l’autre devant la commission d’enquête puis dire que Bangaly faisait partie d’un lot de 24 demandeurs dont la requête est rejetée. Qui dit que là vous l’avez fait avec d’autres et que des propositions allaient être faites, la fonction publique aurait réexaminé tes instructions, la fonction publique aurait réexaminé tes instructions.
Troisièmement, toi-même tu as donné des instructions sur lesquelles je ne peux pas revenir. En te donnant des éléments d’appréciation que tu n’avais pas. Et les rares fois où tu m’as dit de taper, toutes ont été rédigées, soit à mon insu soit directement par toi. Si nos collègues adoptaient la même attitude vis-à-vis de toi, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. D’où les réponses qui consistent à dire «Allez voir le Président ou c’est le Président qui a décidé». Ça c’est à mettre entre des guillemets. (Rires).
Quatrièmement, j’ai souvent eu des décisions avec des collègues sur les cas d’excès ou sur d’autres cas, et aux autres j’ai toujours dit de ne pas hésiter à te saisir quand ils ont des arguments objectifs convaincants.
J’avoue que quelquefois j’ai reçu des réponses désarmantes, je tenais à t’apporter ces éclaircissements pour que toutes équivoques disparaissent.}
Commission d’enquête: Vous savez qu’il signait (…). Vous savez qu’il y en avait (…) c’est des lettres que vous avons trouvées dans les effets du président défunt. Et nous avons d’autres témoignages ici, qui ont révélé exactement le contraire de ce que vous avez dit.
Je serai d’accord avec vous, monsieur Camara, si vous me dites que vous avez peur de votre propre crâne, mais dire que vous n’êtes pas convaincu de votre responsabilité face à l’Histoire et face au peuple, je ne suis pas porté à le croire. Et la commission entière n’est pas portée à le croire, parce qu’à votre insu, on a organisé une émission. Une émission intitulée «À vous la parole»:
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