Justice : L’ancien ministre Ahmed Kanté visé par un appel en cassation dans l’affaire ABC

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Le feuilleton judiciaire opposant l’ancien ministre des Mines et de la Géologie, Ahmed Kanté, à l’homme d’affaires russe Alexandre Zotov, patron de la société minière African Bauxite Corporation (ABC), continue de tenir en haleine le monde des affaires guinéen.

Après un verdict de première instance jugé surprenant par beaucoup, y compris le procureur qui avait requis trois ans de prison ferme contre Ahmed Kanté pour abus de confiance et concurrence déloyale, l’affaire prend désormais la direction de la Cour d’Appel.

Alexandre Zotov a en effet décidé de se pourvoir en cassation, estimant avoir été spolié de plusieurs dizaines de millions de dollars et des années de travail acharné.

Lors d’une conférence de presse animée vendredi soir à Conakry, Alexandre Zotov est revenu sur la genèse et le déroulement d’un projet qui, selon ses dires, a été « détourné » par Ahmed Kanté.

Arrivé en Guinée en juin 2010, l’homme d’affaires russe, ayant déjà investi ses propres fonds et ceux de ses partenaires dans le projet ERIZEEN Ressources, a rencontré Ahmed Kanté en 2016, alors directeur général de la Soguipami. De cette rencontre est née une collaboration, d’abord institutionnelle, puis plus personnelle après le départ de Kanté de la Soguipami.

C’est à ce moment-là que les choses auraient pris une tournure inattendue. Ahmed Kanté aurait suggéré la création par son épouse d’une entreprise, IBCC, via laquelle il devait aider Zotov à développer un port multi-usages à Kokaya.

Un contrat est signé en septembre 2017 par les trois parties : Zotov, Madame Kadiatou Kanté et Ahmed Kanté. Parallèlement, Zotov lance une nouvelle compagnie, ERM Ressources Maning (devenue ultérieurement la société mère ABC), qui signe des contrats avec Accis et GBT.

Des études de faisabilité sont financées à hauteur de plusieurs millions de dollars, permettant à Accis et GBT d’obtenir leurs licences d’exploitation en novembre 2018.

Selon Zotov, Ahmed Kanté a été d’une aide précieuse durant cette phase, prodiguant conseils et accélérant le projet.

Les travaux de construction du port de Kokaya et de la route pour GBT débutent en septembre 2018.

Le point culminant de cette affaire se situe au début de l’année 2019. Le 1er février, ABC signe un accord de financement avec SB Mining. Cet accord prévoyait la création d’une coentreprise où ABC détiendrait 58% des parts et SB Mining 42%, moyennant un investissement de 36,5 millions de dollars de la part de SB Mining. Le projet global était alors évalué à 80 millions de dollars, la part d’ABC étant de 50 millions.

C’est là que le récit d’Alexandre Zotov prend une tournure dramatique.

Selon lui, Ahmed Kanté, Philippe Roger et Claude Lorsi (décédé depuis), qui avaient suivi le projet depuis le début et assisté à la signature du contrat avec SB Mining en Chine, devaient l’aider à concrétiser cet accord. Cependant, de retour à Conakry, ces trois personnes auraient créé une nouvelle entité, GIC, au lieu de poursuivre avec ABC.

Ils auraient alors présenté GIC à SB Mining comme leur propre compagnie, aboutissant à la création d’une coentreprise nommée AB2SA, dans laquelle GIC détenait 58% et SB Mining 42%.

Alexandre Zotov affirme qu’Ahmed Kanté, fort de ses connaissances au sein du ministère des Mines, aurait alors fait en sorte que tous les actifs du projet soient transférés au nom d’AB2SA. Le plus troublant, selon Zotov, est qu’Ahmed Kanté, sans aucun investissement personnel, se serait retrouvé actionnaire majoritaire, bénéficiant des retombées financières du projet. « Ahmed Kanté m’a tout pris. Il a pris mon argent, le travail que j’ai effectué et il a pris 16 ans de ma vie », a-t-il déclaré avec amertume.

Alexandre Zotov a insisté sur le fait que toutes les preuves de cette spoliation ont été fournies à la justice. Les enquêtes préliminaires menées par la gendarmerie et la police auraient été favorables à ABC, de même que le rapport des juges d’instruction, qui concluait à la condamnation des trois personnes pour abus de confiance et concurrence déloyale.

Malgré ces éléments, le procès de première instance, qui a duré deux ans et durant lequel ABC a présenté toutes ses preuves et fait témoigner ses témoins, a abouti à un verdict que Zotov qualifie de « malheureux ».

Au-delà de ses pertes financières personnelles, Alexandre Zotov a exprimé sa profonde déception quant aux conséquences de cette affaire pour la Guinée. Il avait de grandes ambitions pour le pays, notamment la construction d’une raffinerie de pétrole au port de Kokaya, un projet qu’il avait présenté aux autorités guinéennes, dont le président de l’époque, Alpha Condé, et le ministre des Mines, Abdoulaye Magassouba. Zotov a même raconté comment, malgré la pandémie de COVID-19 en 2020, il était parvenu à rejoindre Conakry en jet privé pour une rencontre au ministère des Mines, où il a été surpris de revoir Ahmed Kanté.

« Si je n’étais pas bloqué, la Guinée allait être dotée d’une raffinerie et n’aurait pas été affectée à la suite de l’explosion du dépôt de carburant », a-t-il affirmé, soulignant l’impact négatif de cette situation sur le développement économique du pays. Les équipements destinés à la raffinerie seraient toujours stockés en Russie. Pour Zotov, les actions de Kanté vont au-delà d’un simple litige commercial ; elles ternissent l’image de la Guinée et sapent la confiance des investisseurs étrangers.

L’avocat d’Alexandre Zotov a profité de la conférence de presse pour lancer un appel vibrant aux autorités de la transition guinéenne, en particulier au CNRD (Comité National du Rassemblement et du Développement), au ministère de la Justice et au Président Mamadi Doumbouya.

Il a rappelé le mémorandum de Claude Lorsi, produit devant le juge d’instruction, qui attestait qu’Ahmed Kanté n’avait « rien apporté à ce projet, ni en termes financiers, ni en termes d’ingénierie. »

L’avocat a souligné l’importance de l’indépendance et de l’intégrité de la justice pour le développement du pays. « Il faut que cette bonne intention profonde [du CNRD sur la justice] se manifeste dans l’appareil judiciaire », a-t-il déclaré, invitant le CNRD à « être très regardant sur ce comportement éhonté de certains magistrats Guinéens. » Il a dénoncé l’impunité dont bénéficieraient certains « cadres véreux » et « bandits à col blanc », qui malmènent les investisseurs étrangers comme Alexandre Zotov.

Alors que les dossiers sont en cours de compilation à la Cour d’Appel, l’affaire Ahmed Kanté contre Alexandre Zotov s’annonce comme un test crucial pour le système judiciaire guinéen et sa capacité à garantir la sécurité des investissements dans le pays. Les enjeux sont de taille, tant pour les parties impliquées que pour l’image de la Guinée sur la scène iinternationale.

Minkailou Barry 

 

 

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