Il y a quarante-huit ans, le 27 août 1977, un mouvement de contestation populaire d’une ampleur inédite secoua la Guinée de Sékou Touré. Ce jour-là, les femmes commerçantes du marché Madina de Conakry initièrent une révolte qui allait marquer un tournant décisif dans l’histoire politique et économique du pays, révélant au grand jour les contradictions d’un régime de plus en plus autoritaire.
Depuis l’indépendance en 1958, le président Ahmed Sékou Touré avait mis en place une politique économique dirigiste caractérisée par un contrôle strict des prix et du commerce.
La « police économique », corps spécialement créé pour faire respecter ces mesures, était devenue l’instrument redouté d’une répression quotidienne qui touchait particulièrement les femmes commerçantes.
En 1975, Sékou Touré avait durci sa politique en interdisant tout commerce privé, plongeant le pays dans une crise économique profonde. Les marchés, véritables poumons économiques des villes guinéennes, se vidaient progressivement tandis que la corruption gangrénait les forces de l’ordre chargées de faire appliquer ces mesures draconiennes.
Le matin du 27 août 1977, c’est au marché Madina, l’un des principaux centres commerciaux de Conakry, que l’étincelle se produisit. Les vendeuses, exaspérées par les tracasseries incessantes et la corruption de la police économique, décidèrent de dire « non » à ce système d’oppression économique.
La protestation, initialement circonscrite au marché, prit rapidement une ampleur considérable. Les femmes de tous les quartiers de Conakry rejoignirent le mouvement, transformant une contestation commerciale en véritable soulèvement populaire. Fait remarquable, cette révolte transcenda les clivages sociaux, rassemblant des femmes de toutes conditions sociales autour d’une même revendication : la fin des abus du pouvoir.
Les manifestantes ne se contentèrent pas de protester : elles passèrent à l’action en s’attaquant aux symboles du pouvoir oppressif. Les postes de police furent pris d’assaut et saccagés, témoignage de la profonde rancœur accumulée contre les forces de l’ordre.
Le cortège de femmes en colère se dirigea ensuite vers le palais présidentiel, défiant directement l’autorité de Sékou Touré.
Pris de court par cette mobilisation sans précédent, le président guinéen tenta de reprendre le contrôle de la situation en organisant un meeting public le lendemain.
Mais cette stratégie se retourna contre lui : au lieu d’apaiser les tensions, il fut hué par la foule des femmes présentes, contraignant le « Guide suprême » à une retraite humiliante.
Des témoignages de l’époque rapportent même que des médias étrangers, comme la Voix de l’Allemagne, annoncèrent que « le président Sékou Touré avait été lapidé par les femmes de Conakry », illustrant l’impact international de cet événement extraordinaire.
Comme souvent dans l’histoire des mouvements de contestation en Afrique, la répression ne tarda pas.
Plusieurs manifestantes payèrent de leur vie leur courage de défier le pouvoir établi. Cependant, contrairement aux répressions précédentes qui avaient réussi à étouffer toute velléité d’opposition, celle-ci ne parvint pas à effacer l’impact de la révolte.
Face à l’ampleur du mouvement et à son retentissement, Sékou Touré fut contraint d’adapter sa politique. Le régime entreprit un assouplissement notable de ses mesures économiques les plus draconniennes et amorça même une normalisation progressive des relations avec la France, rompant avec des années d’isolement diplomatique.
Aujourd’hui, la révolte du 27 août 1977 reste gravée dans la mémoire collective guinéenne comme un symbole de résistance populaire. Elle démontra que même le régime apparemment le plus solide pouvait être ébranlé par la détermination du peuple, et plus particulièrement par le courage des femmes.
Cet événement marqua également un tournant dans la perception internationale du régime de Sékou Touré.
La révolte des femmes du 27 août 1977 s’inscrit dans la longue histoire des résistances populaires africaines. Elle illustre particulièrement le rôle central des femmes dans les luttes pour la justice sociale et économique, un rôle trop souvent occulté par les récits officiels.
Quarante-huit ans après, alors que la Guinée continue de chercher sa voie vers la démocratie et le développement, l’exemple de ces femmes courageuses qui osèrent défier la dictature résonne encore comme un appel à la vigilance citoyenne et à la défense des libertés fondamentales.
Cette journée du 27 août 1977 demeure ainsi un jalon essentiel de l’histoire guinéenne contemporaine, rappelant que le changement politique peut parfois naître des gestes les plus simples : celui de femmes refusant l’injustice et osant dire « non » au pouvoir oppressif.
Minkael Barry