Timbo : cœur spirituel et berceau de l’unité Guinéenne: histoire d’une mosquée et d’un héritage commun

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Timbo : cœur spirituel et berceau de l'unité Guinéenne - histoire d'une mosquée et d'un héritage commun

Dans un pays comme la Guinée, où la population musulmane dépasse les 80%, l’essor remarquable de la construction et de la modernisation des mosquées à travers toutes les régions témoigne d’un profond engagement religieux. Chaque semaine apporte son lot d’inaugurations de ces édifices, fruits des efforts collectifs des communautés locales. Cet élan spirituel est palpable chez les musulmans de Guinée. Parmi les mosquées rénovées, il est réjouissant de compter celles qui ont marqué les débuts de l’islam en Afrique de l’Ouest : Fougoumba, Touba, Dinguiraye, Forécariah, Kankan, Labé, et bien d’autres.

Cependant, au-delà de cette vague de modernité, une mosquée demeure un témoin silencieux d’une histoire spirituelle immense, considérée comme l’une des plus anciennes, sinon la plus ancienne du Fuuta : la Mosquée de Timbo. Érigée sous l’égide du vénéré Karamoko Alpha, figure centrale de la guerre sainte au Fuuta Jaloo et en Guinée, son histoire se confond avec les premiers pas de l’islam dans la sous-région.
L’implantation de l’islam en Guinée s’inscrit dans le mouvement de renouveau religieux qui a traversé l’Afrique occidentale de la fin du XVIIe au milieu du XIXe siècle. Cette période succède à la première phase d’islamisation survenue au Soudan des grands empires (Ghana, Mali et Gao) au contact du Maghreb et du Moyen-Orient (XIe-XVIe siècle). Ce renouveau s’est manifesté notamment par des djihads successifs au Bhundu (Sénégal actuel), au Fuuta Jaloo (Guinée), au Fuuta Toro (Sénégal), à Sokoto (Nigeria du Nord actuel), au Macina (Mali actuel) et dans l’empire d’Al Hadj Umar (Guinée – Mali). Contrairement à l’islamisation des empires, qui toucha principalement les élites et certains habitants des centres urbains, cette nouvelle vague a conduit à une islamisation massive et profonde des populations.
Au Fuuta Jaloo, ce phénomène a débuté au XVIIIe siècle, après une longue période d’infiltrations progressives de Peuls et de Mandingues musulmans venant du Sahel, des rives du Moyen et Bas Sénégal et de la boucle du Niger. La région était alors dominée par des Djalonkés agriculteurs et animistes, cohabitant pacifiquement avec d’importantes minorités de Peuls éleveurs, également animistes, connus sous le nom de Poulis.
La Victoire de Talansan : L’Aube de l’Ère Musulmane au Fuuta Jaloo
Selon les chroniques du Fuuta Jaloo, l’année 1140 de l’Hégire (1727-1728 de l’ère chrétienne) fut marquée par la victoire décisive des musulmans sur les animistes lors de la célèbre bataille de Talansan, sur les rives du Bafing, à l’est et non loin de Timbo.
Les animistes autochtones, forts de leur ancienneté sur le territoire et de leur supériorité numérique, avaient constaté un relâchement croissant de la discipline stricte qu’ils imposaient aux musulmans nouvellement installés. Ces derniers, animés par leur foi et lassés de se voir dicter leur conduite, pratiquaient de plus en plus ouvertement leur religion et affichaient même un certain mépris envers les pratiques païennes de leurs hôtes (ivrognerie, musiques et danses jugées licencieuses). Cette intolérance mutuelle conduisit inévitablement à l’affrontement.
C’est dans la préparation morale et matérielle des musulmans à cette confrontation qu’Alpha Ibrahima Sambégou, dit Karamoko Alpha mo Timbo, se distingua, devenant le leader incontesté de sa communauté. Les récits de la région de Timbo rapportent qu’avant le conflit ouvert, il s’était imposé un jeûne et une retraite spirituelle (khalwa) de sept ans, sept mois et sept jours, priant pour le triomphe de l’islam. À l’issue de cette retraite, marquée par des signes de l’exaucement de ses prières, il entra en action et mobilisa activement les musulmans des autres régions, souvent isolés. Chacun partageait les mêmes prières face à l’hostilité et aspirait à la solidarité contre la menace animiste. Ses premiers contacts semblent avoir été ceux de Timbo-Dalaba, un village de Malinkés musulmans situé à une dizaine de kilomètres de Timbo. Parallèlement, les rencontres secrètes se multiplièrent grâce à des messages confidentiels, notamment à Kankalabé (Lémunnè tatoy), dans le Timbi (entre Bomboli et Bouroual Tappè) et à Fougoumba, avec la participation active d’Alpha Ibrahima Sambégou, Alpha Amadou Kankalabé et Alpha Mamadou Cellou de Labé, qui y jouèrent un rôle primordial. L’entente fut totale lors de ces réunions, particulièrement à Fougoumba où le processus de concertation aboutit. Après de nouvelles prières basées sur le Coran, la communauté de destin fut scellée et la décision de déclencher la guerre sainte fut prise. C’est grâce à cette mobilisation qu’une centaine de musulmans réussirent à vaincre, à Talansan, la masse imposante des animistes.
Ce qui rend cette solidarité remarquable, c’est qu’elle reposait strictement sur l’appartenance religieuse, transcendant les critères ethniques qui prennent malheureusement trop d’importance dans l’Afrique contemporaine. En effet, aux côtés des leaders peuls musulmans, certes plus nombreux à la bataille de Talansan, les récits mentionnent les noms de dix leaders malinkés ayant combattu dans les rangs musulmans. Inversement, le camp animiste comptait aussi bien des Djalonkés que des Peuls (les Poulis). De plus, on peut supposer une certaine sympathie des Djalonkés du Solima pour la cause musulmane, qu’ils rejoindront d’ailleurs plus tard. Une version du déroulement de la bataille de Talansan suggère que le fusil qui détermina la victoire musulmane, le seul présent sur le champ de bataille, provenait de Falba, la capitale du Solima. Notons que le Bhoundou et le Tamisso figurent également parmi les lieux cités comme origine possible de cette arme.
Les leaders musulmans de la bataille de Talansan les plus fréquemment cités dans les chroniques du Fuuta Jaloo sont :
* Du côté des Peuls : Alpha Ibrahima Sambégou dit Karamoko Alpha mo Timbo, Alpha Ibrahima Yéro Pâthè (futur Almami Sori Mawdho de Timbo), Alpha Mamadou Cellou dit Karamoko Alpha mo Labé, Alpha Sadio Séri de Fougoumba, Alpha Samba de Bhuria, Thierno Sirè Bouroukâdjè de Timbi Tounni, Thierno Soulaymana Tioro de Timbi Tounni, Thierno Saliou Balla de Koyin, Alpha Ahmadou de Kolladhè, Alpha Moussa de Kébâli, Thierno Abdourrahmane de Mâci, Thierno mo Sigon, Thierno mo Bouroudji, Alpha Mamoudou Gongorè …
* Du côté des Malinkés : Fodé Kaba Koûrou, Fodé Abdoulaye Koûrou, Fodé Ousmane Antoun Koûrou, Fodé Madi Koulè Koûrou, Fodé Ishâqa Timbo Dalaba, Alpha Douramâni Timbo Dalaba, Fodé Mahmoûdou Dalato, Fodé Salihou Tarawali Dalato, Alpha Ahmadou Sarèbowal, …
Après la victoire de Talansan, considérée comme l’aube de l’ère musulmane au Fuuta Jaloo, les principaux leaders du djihad se réunirent à Nguerou Salliya, près de Timbo, pour décider de la suite à donner à cette victoire. Il fut convenu que chacun retournerait dans sa région pour y poursuivre la guerre sainte en vue du triomphe complet et définitif de l’islam dans tout le Fuuta, avec pour consigne de commencer la construction de mosquées dès que possible et de faire appel à l’aide des autres en cas de besoin.
Le Fuuta Jaloo Théocratique et l’Expansion de l’Islam en Afrique de l’Ouest
Selon la plupart des chroniques du Fuuta, dix ans après Talansan, une fois les chefs animistes vaincus dans tout le pays, une nouvelle conférence fut convoquée à Timbi Tounni. Cette assemblée se constitua en Assemblée constitutive du Fuuta théocratique : une « constitution » y fut adoptée et un chef suprême du nouvel État fut désigné en la personne de Karamoko Alpha mo Timbo, récompensé pour son rôle et sa réputation d’homme intègre, instruit, pondéré et humble.
Les caractéristiques de cet État lui conféraient l’allure d’une monarchie de type fédéral, dont les principales missions étaient de perpétuer l’islam, de défendre les intérêts des musulmans et d’étendre autant que possible le domaine de souveraineté de l’islam. La succession à sa tête se faisait par voie héréditaire et une large autonomie était accordée aux provinces constitutives, dont les chefs étaient choisis parmi les leaders de la guerre sainte, compagnons de Karamoko Alpha, chacun dans sa province d’origine. Fougoumba, favorisée par sa position géographique et résidence du lignage Sériyanké (aîné de celui des Seydiyanké dont est issu Karamoko Alpha), fut désignée comme capitale religieuse, lieu de couronnement (intronisation) des chefs suprêmes du Fuuta (qui porteraient le titre d’Almami) et lieu de rassemblement de ses chefs spirituels et temporels lors des décisions importantes. Timbo, en tant que résidence des Almamis, fut choisie comme capitale politique de l’État.
C’est cet État qui fut responsable de l’expansion de l’islam dans une grande partie de la Guinée et de l’Afrique de l’Ouest.
Il partagea ce rôle avec ses alliés de la région, musulmans de longue date, tels que les Maninka mori du Batè (préfecture actuelle de Kankan) et leur diaspora en Basse Guinée (notamment dans le Moria, préfecture actuelle de Forécariah, et le Kania, préfecture actuelle de Kindia), ainsi qu’avec les Djakanké de Touba et les Torobbhè de Dinguiraye, hôtes de marque de l’État musulman du Fuuta Jaloo arrivés au cours du XIXe siècle.
La Mosquée de Timbo : « Mosquée Karamoko Alpha »
Le poids spirituel de la Mosquée de Timbo est intrinsèquement lié à cette histoire de l’islam en Guinée et au grand prestige de Karamoko Alpha, le fondateur de l’État musulman du Fuuta Jaloo sous l’égide duquel elle fut érigée. C’est pourquoi certains l’appellent simplement la Mosquée Karamoko Alpha, un nom symbolique qui évoque l’idée d’une mosquée-mère, porte d’entrée et de diffusion de l’islam dans la région, la Kaaba locale. Son importance réside également dans son statut de mosquée de la capitale politique du Fuuta Jaloo théocratique, un État parmi les plus importants de la région à la veille de la conquête coloniale.
Après la victoire de Talansan qui mit fin au règne des animistes, la première entreprise significative des musulmans fut la construction de mosquées. Jusqu’alors, toutes les pratiques du culte musulman se déroulaient dans la clandestinité. Dans la région de Timbo, seul le village de Timbo-Dalaba avait, semble-t-il, osé défier l’ordre animiste en construisant une mosquée, bien que de dimensions modestes, dix ans avant la victoire de Talansan (certaines sources mentionnent également la Mosquée de Gongorè, ainsi que six autres à travers le Fuuta, comme antérieures à Talansan). C’est pourquoi, lorsque Karamoko Alpha décida avec ses proches de construire une mosquée à Timbo, l’exemple de Timbo-Dalaba fut une source d’inspiration naturelle. Les coreligionnaires de ce centre auraient volontiers mis à sa disposition le modèle quadrangulaire de mosquée qu’un des leurs avait rapporté de Tombouctou et qu’ils étaient les seuls à posséder dans tout le Fuuta.
Ainsi, sous l’égide de Karamoko Alpha, la construction de la mosquée commença peu après le triomphe de Talansan, vers 1727. Ce fut un événement majeur dont toutes les étapes sont immortalisées dans les chroniques locales. Il est dit que l’emplacement de la mosquée ne fut pas choisi au hasard. C’est à la suite de prières intenses que le lieu qu’elle occupe encore aujourd’hui fut désigné par un rêve. C’était un parc à bétail appartenant à une femme nommée Nèn Timbo, de la famille des Diafounâbhè, un lignage de Peuls éleveurs convertis de la première heure à l’islam. Non seulement le terrain fut cédé sans difficulté, mais Nèn Timbo, pour marquer son engagement, offrit un taureau en contribution. Le lieu fut rebaptisé « Timbo » en son honneur, perdant ainsi son nom préislamique de « Gongowi ». Après ce choix, l’honneur et le privilège de poser les premières pierres de ce futur lieu de culte furent accordés à des personnalités marquantes : Karamoko Alpha lui-même en premier lieu, suivi, selon les chroniques locales, du futur Almami Sori Mawdho, puis de Modi Makka, Thierno Amadou Botomangui, Thierno Youssoufou, Thierno Malal (les futurs chefs de tékoun) et enfin de Mâma Moûssa Ndouyèèdjo. Il semble que la houe ayant servi à tracer les fondations de la mosquée, pieusement conservée jusqu’à aujourd’hui par la famille des Ndouyèèbhè de Timbo, fut apportée par Mâma Moûssa. Durant la construction, chaque grand groupement de familles de Timbo (le tékoun mawdho, les quatre tékoun et le limodal / gadha è gaani, les trois grandes entités organisant les habitants du diwal) avait un rôle à jouer.
À chaque étape, chacune de ces entités apportait sa part de matériaux (paille, cordes, bambou, bois, etc.) ou réalisait des tâches spécifiques (maçonnerie et assemblage notamment), faisant de la construction de la « maison de Dieu » une œuvre collective. Les travaux de menuiserie et de forge (piliers, traverses, portes) furent confiés à des familles de forgerons soigneusement sélectionnées.
Dès cette époque, les représentants de Timbo-Dalaba se virent reconnaître, au moins pour le diwal de Timbo, certains privilèges sans doute liés au modèle de mosquée qu’ils avaient introduit au Fuuta : le tracé des mosquées se faisait toujours sous leur bénédiction, privilège qu’ils partageaient avec la famille des Ndouyèèbhè de Timbo ; ils avaient toujours l’honneur de poser la faîtière de la mosquée (la botte de paille) et recevaient des présents.
La « Mosquée Karamoko Alpha » : Patrimoine Commun de Tous les Musulmans de Guinée
Il semble que les autres diwé du Fuuta aient tenu à apporter leur contribution à la construction de la Mosquée de Timbo, capitale du pays : certains en matériaux, d’autres en denrées. Cette solidarité était réciproque, car c’est souvent à la même époque que la plupart de ces diwé édifièrent leurs propres mosquées en associant étroitement les habitants de Timbo. Les chroniques locales assurent que la corde ayant servi à tracer la Mosquée de Timbo fut souvent la même qui fut utilisée pour la plupart des mosquées du Fuuta de cette époque, marquant symboliquement leur filiation à celle de Timbo.
Ces mêmes chroniques rapportent que lorsque le Moria entreprit plus tard la construction de sa propre mosquée, il tint à associer Timbo. En effet, les invités de Timbo à la cérémonie de pose de la première pierre auraient apporté avec eux du mortier prélevé sur celui ayant servi à édifier la Mosquée de Timbo. Ce mortier fut symboliquement intégré aux matériaux utilisés pour la Mosquée de Forécariah, scellant ainsi l’alliance entre les deux communautés musulmanes.
Avec la progression de l’islam hors du Fuuta et les alliances contractées par les autorités de cet État avec les musulmans de ce qui allait devenir la Guinée, chaque renouvellement de la couverture de la Mosquée de Timbo offrait une occasion de concrétiser un certain esprit de solidarité qui finit par caractériser les rapports entre les musulmans de toute la région.
Le Kania, le Balia, ainsi que le Oulada et le Moria apportaient à ces occasions leurs contributions symboliques : paille, cordes, bambous, etc.
Des origines à 1949, la Mosquée de Timbo conserva sa couverture en paille et ses murs en banco spécial, ses habitants se contentant de renouveler sa toiture tous les sept ans. À partir de janvier 1949, à l’initiative d’Almami Ibrahima Sori Dara, la paille fut remplacée par des tuiles et le mur extérieur en banco par un mur en pierre taillée. En 1978, ces tuiles, usées par le temps, furent remplacées par des tôles.
Durant toute la période du Fuuta théocratique et même à l’époque coloniale, la Mosquée de Timbo, marquée de l’empre.

Pr Ismaël Barry 

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