Ces albums africains qui ont traversé le temps : 1984, Salif Keïta [2/5]

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Il y a 40 ans, le chanteur malien Salif Keïta, tout juste arrivé sur le sol européen, prenait son indépendance en s’émancipant des Ambassadeurs pour débuter une carrière personnelle favorisée par un tour de passe-passe discographique à l’occasion de la réédition de l’album Mandjou.

Trois ans avant de s’imposer en 1987 sur la scène internationale sous son propre nom avec Soro, album phare d’une afropop en plein essor à la fin des années 80, Salif Keïta annonçait à demi-mots, son prochain envol, ou tout au moins sa volonté de continuer son chemin en solo. Ce fut d’abord en rejoignant la France après six ans en Côte d’Ivoire, convaincu que le moment était venu pour lui d’incarner davantage la musique qu’il avait développée jusque-là au sein des Ambassadeurs (du Motel, puis internationaux après avoir fui le Mali et son régime militaire en 1978) et surtout de lui donner une autre envergure. « Ce n’est pas un pays que j’ai quitté pour aller dans un autre pays. Non, c’est un continent que j’ai quitté pour aller sur un autre continent », expliquait-il dans le documentaire Griots et Rebelles de Philippe Conrath en 1989, dévoilant clairement ses ambitions.

 

Exit le griot, bienvenue au chanteur.

 

Ce changement géographique avait une autre portée : se libérer de « certaines des contraintes qui avaient jusqu’alors contribué à façonner sa personnalité artistique, la plus importante étant la dimension et l’image griotiques qui pesaient comme une chape de plomb sur sa musique et qui avaient fait de lui l’agent publicitaire de personnalité à l’intégrité douteuse », souligne Cheick M. Chérif Keïta dans l’ouvrage Salif Keïta, l’Ambassadeur de la musique au Mali paru en 2008.

 

En cette année 1984, la réputation de l’artiste aiguise déjà la curiosité de ceux qui scrutent les horizons musicaux depuis l’Occident. « On l’attendait depuis longtemps », écrit le quotidien Le Monde pour annoncer un concert du « musicien peut-être le plus populaire du Mali ».

 

C’est d’ailleurs son patronyme qui figure à l’affiche d’un festival organisé à Angoulême (devenu Musiques Métisses, événement majeur des musiques du monde). Sa prestation sera même diffusée sur une chaine de télévision française. Signe que les astres sont en train de s’aligner pour le trentenaire malien dans son nouveau pays d’accueil, le jeune label français Celluloïd décide d’entériner symboliquement cette indépendance de Salif Keïta à l’égard de son collectif historique… en modifiant la pochette d’un disque à la faveur d’une réédition !

 

Un classique faisant l’éloge du président guinéen Sékou Touré

 

Puisque le chanteur albinos n’a pas encore d’album à son nom, autant lui attribuer le chef-d’œuvre de la formation dont il était la voix – et reléguer au second plan le groupe tout à coup réduit à un singulier, celui d’« ambassadeur international ». Cela accentue la confusion en laissant penser qu’il s’agit d’un seul individu : Mandjou, paru à l’origine en 1979 en Afrique de l’Ouest, a rencontré à l’époque un succès commercial mémorable dans les pays de la sous-région.

 

La chanson qui a donné son titre au projet appartient à ces classiques du répertoire mandingue : près de 13 minutes à la gloire de Sékou Touré, le chef d’État guinéen pourtant très décrié qui avait encouragé le Malien après l’avoir entendu lors d’une visite à Bamako et l’avait ensuite décoré de l’ordre national de la Guinée.

 

Au verso de la pochette du 33 tours, appuyé contre un arbre du voyageur, Salif pose avec la fameuse médaille, tandis qu’un court texte le présente comme le « Domingo de la chanson malienne », en référence au surnom de son parfait homonyme footballeur qui avait brillé sous les couleurs du club français de Saint-Étienne.

 

Le voilà lancé, tandis que se produit un télescopage fortuit : en 1984, l’encombrant dirigeant guinéen s’éteint au moment où Mandjou bénéficie d’un second souffle avec une distribution à l’échelle internationale et offre à son interprète un précieux tremplin pour rayonner plus largement. Avec la réussite que l’on sait a posteriori.

rfi