Le rôle crucial d’une tante : Comment Houphouët-Boigny est devenu le parrain de Sékou Touré

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Le rôle crucial d'une tante : Comment Houphouët-Boigny est devenu le parrain de Sékou Touré

Extraits des Actes du Colloque international de Yamoussoukro. 1986

Ce texte est tiré de RDA 40 ans, Actes du Colloque international de Yamoussoukro 18-25 octobre 1986. Editions CEDA/Hatier. Les extraits, utilisés dans l’émission La Marche du monde, ont été replacés dans la chronologie initiale du colloque. 

Les femmes ont toujours été à la pointe de notre combat. Elles ont toujours été désintéressées. Et nous disons communément «ce que femme veut, Dieu le veut». L’assurance que je peux vous donner est que vous devez rapporter fidèlement à nos sœurs, à nos mères, à nos filles, c’est qu’au fur et à mesure de leur formation, qui a suivi un certain retard par rapport à celle des hommes, au fur et à mesure de leur formation, je vous donne là le plus bel exemple, vous professeur madame Diabaté, nous associerons aux postes de responsabilité nos femmes. Nous avons commencé avec deux ministres, je ne sais pas combien il y en a dans le gouvernement français et nous allons poursuivre. Ce n’est pas seulement au niveau ministériel.

 

Les femmes ont donné l’exemple de la bonne tenue de la mairie qu’elles occupent, toujours désintéressées. De plus en plus, il y aura des femmes à la direction de nos affaires. Soyez patientes.

 

En 1945, ce que vous ignorez, les communistes dans les élections représentaient 25 à 27% des voix. Donc dans l’armée, on pouvait compter un soldat communiste sur quatre. Est-ce qu’ils ont sympathisé avec les Algériens qui luttaient ? Avec les Indochinois ? Non. Ils sont Français et ils avaient raison. Si on les a écartés, c’est uniquement parce qu’ils ne voulaient pas voter le budget de l’Indochine mais et ils sont restés Français.

Et c’est l’ensemble des Français qui constituaient la puissance coloniale dont nous voulons nous séparer, dans l’amitié, mais dont nous voulons absolument nous séparer. Donc j’ai eu du mal à faire accepter cela par mes frères, comme j’ai eu du mal, je viens de vous le rappeler, en 46 à Bamako, à soustraire notre mouvement de l’obédience communiste. J’ai eu du mal. Il y a dans cette salle des militants qui ne m’ont pas suivi dans le désaparentement mais j’ai tenu.

Ils ont été arrêtés. Innocents, certains de nos braves militants jetés en prison. Je les ai faits défendre par les communistes, par des avocats, des brillants avocats communistes. J’ai payé. Ce n’était pas gratuit (rires). Mais ils ont été condamnés parce qu’ils ont été défendus par des communistes. J’ai dû attendre. Et le désaparentement n’a pas été facile parce que où aller ? C’était facile de dire que je quitte l’apparentement mais nous ne pouvions pas constituer un groupe parlementaire.

Nous devions donc nous apparenter à d’autres groupes français. Et nous avons commencé par nous adresser à nos frères, dits «indépendants d’Outre Mer», présidés par Senghor. Ça a été un refus. Nous étions des pestiférés. Ils ne pouvaient pas nous accepter. Ils ont même demandé, eux qui représentaient une petite unité, un petit groupuscule, demandé à ce que nous venions à leur groupe, sollicités les uns après les autres, en renonçant au sigle du RDA. C’est une fin de non-recevoir qui nous a été signifié.

….. Hier, je vous ai donné les raisons pour lesquelles nous avons créé le RDA, les difficultés que nous avons rencontrées au départ, mais je n’ai pu préciser les actions du RDA au niveau des différentes sections. Le RDA, ce n’est pas Abidjan. Le Rassemblement démocratique africain ne se limitait pas au seul pays de Côte d’Ivoire. Il s’étendait, c’était son ambition de rassembler les Africains pour une lutte commune en vue de l’émancipation sociale, politique, de notre cher continent. Nous avons eu des sections dans presque tous les pays francophones de l’ex-AOF (Afrique occidentale française) et l’ex-AEF (Afrique équatoriale française).

Nous avons même été plus loin. Nous avons créé une section à Djibouti et le président actuel de Djibouti était notre secrétaire général.

 

Au Sénégal, malgré la très forte opposition de feu Lamine Gueye et de Leopold Sédar Senghor, le RDA s’est fait l’honneur de créer au Sénégal une section territoriale. Celle-ci a mené la lutte pour l’ensemble de notre RDA. Sa lutte ne se limitait pas au seul Sénégal mais à l’ensemble des pays que défendait le RDA. (…)

Nous avions donc le Sénégal, la Guinée, le Mali actuel (l’ex-Soudan français), le Niger, le Burkina Faso… Ca va mieux ! (rires). Le Bénin (l’ex-Dahomey), le Gabon, le Congo-Brazzaville, le Tchad, la République centrafricaine où nous avions une section jusqu’à l’indépendance, et le Tchad. La lutte a été dure. Je vous ai parlé hier de traversée du désert. Elle était pénible.

Je ne vous ai pas relaté ce qu’on souffert les autres sections territoriales ailleurs, comme au Sénégal qui bénéficiait de plus de liberté parce que c’était le pays le plus ancien. Trois cents ans de vie commune avec les Français : ils étaient même Français avant les Corses (rires), il y a eu la répression sous une forme discrète mais pénible aussi. Des fonctionnaires ont été révoqués. On a coupé des crédits à nos commerçants sénégalais RDA.

Mais les Sénégalais ont tenu jusqu’à l’indépendance. C’est après l’indépendance que je leur ai demandé de se saborder et de rejoindre les rangs pour aider Senghor à bâtir le Sénégal indépendant. Nous avons eu de nos militants, nos braves militants, dans le gouvernement de Senghor : M’baye, M’Bengue. Ils ont été très dignes de notre mouvement. Ils ont été très appréciés au niveau du Sénégal.

Nous n’avons pas créé de section au niveau de la Mauritanie bien que deux délégations soient venues nous demander de les aider à créer la section mauritanienne. Nous avons dit : à partir du moment où Ould Daddah, le leader de leur pays, pratiquait la même politique de lutte émancipatrice, il fallait se joindre à Ould daddah pour pratiquer avec lui cette politique que nous menions nous-mêmes au niveau des autres territoires.

Le Niger, pendant la traversée du désert, a souffert. Nous n’avons plus de représentant au Niger, plus de représentant au Gabon ; notre leader a été expulsé du pays, interné en République centrafricaine – j’ai cité feu Léon M’Ba-.

C’est après notre arrivée au gouvernement français que j’ai pu le faire revenir dans son pays où , grâce au triomphe du RDA, en 1956, il a pu faire accéder son pays à l’indépendance en même temps que nous autres. Nous avons perdu notre siège au Tchad. On nous a réduit d’une unité notre représentation au Mali. On n’a même pas autorisé nos deux représentants, qui quelques mois plus tard devaient enlever les sièges de la Guinée, à se présenter.

Pendant longtemps, nous n’avons même pas eu un seul représentant à l’Assemblée territoriale de Guinée. Au départ, un de mes anciens collègues de promotion à l’Ecole normale d’instituteurs de Gorée, Mamba Sano, nous avait représentés.

Malheureusement, dès les premières difficultés, paix à son âme, mon frère Mamba Sano s’est retiré de la lutte. Alors, il y avait un vide qu’heureusement avaient comblé deux braves parmi les plus braves militants du RDA : Madéra Keita du Mali et Ray Autra de la Guinée. Le pouvoir colonial ne s’est pas gêné, il les a mutés purement et simplement au Dahomey, aujourd’hui Bénin, et c’est grâce à eux, Madéra Keita et Ray Autra, que nous avons pu créer la section territoriale du RDA du Bénin.

Le drame du Tchad, vous le savez, c’est que la répression, (…) a été brutale, plus brutale dans l’ex AEF que dans l’ex AOF. Nous avons eu du mal à recruter un responsable au Tchad. C’est Gabriel Lisette, alors administrateur des colonies au Tchad, qui a accepté d’assumer les responsabilités de la direction de notre section territoriale du Tchad avec sa femme, une Française, plus africaine que les Africains.

Le vide guinéen, comment le combler, Madéra et Ray Autra partis ?

Nous avons recruté sur place de jeunes Guinéens vivant en Côte d’Ivoire sous la direction d’un brave jeune Sénégalais, Diagne, et avec l’appui d’un chef de canton de la frontière guinéenne, pour installer une tête de pont en Guinée.

En cas de difficultés extrêmes, nous avions la possibilité de les replier sur la Côte d’Ivoire. Mais le grand pays restait vide. La Guinée n’avait pas de cartes du parti. Nous avons envoyé des cartes de Côte d’Ivoire, avec l’éléphant, et en surimpression «Guinée-PDG» ; c’est pour cela que l’éléphant de Côte d’Ivoire est devenu le Syli de la Guinée, il est parti d’ici.

Alors un beau jour, on m’a appris qu’il y avait un jeune syndicaliste qui voulait rallumer le flambeau de la lutte RDA, c’est Sékou Touré. Je me suis déplacé. Je l’ai rencontré chez sa grande-tante. Elle me l’a recommandé.

Je l’ai fait venir ici à Abidjan avec malheureusement, malheureusement parce qu’il n’est plus, son propre cousin, le petit Touré, époux de ma propre nièce. Celui-là n’est plus. Et voilà comment petit à petit, nous avons pu faire revivre après le départ de Madera et de Ray Autra, notre section territoriale de Guinée.

Pas un seul membre du RDA à l’Assemblée territoriale de Guinée. La lutte en Guinée, ce n’était pas une lutte contre la colonisation, c’était une lutte contre le RDA.

Ministre, nous avions à présenter Sékou Touré dans la région de Beyla parce qu’il y avait une vacance. Je m’y suis rendu en compagnie du gouverneur général Cornut-Gentille. Je ne demandais pas l’appui du gouvernement, des pouvoirs locaux ; je demandais simplement la neutralité. Elle m’avait été promise.

Je me suis rendu dans la nuit avec le gouverneur Cornut-Gentille dans les campements administratifs du Mont Nimba.

(…) Le lendemain, il m’a dit que tout était arrangé, qu’il avait convoqué les administrateurs, qu’il avait donné des instruction et que la neutralité serait absolument respectée. Le lendemain, à Man, j’apprenais le contraire.

 

La fraude a écarté Sékou, nous n’avions personne en Guinée. Il nous a fallu attendre jusqu’en 1956 pour obtenir sur l’ensemble des territoires français, africains français, la neutralité de l’administration. Le résultat : nous enlevions deux sièges en Guinée, deux sièges au Mali, deux sièges au Niger. Entre temps, le Burkina Faso a été reconstitué mais les élus sont venus au RDA.

Nous avions nos amis du Bénin (Hubert Maga n’était pas avec nous au départ, il était avec les autres et s’il était quelque part embarrassé dans ses déclarations, c’est en raison de cela) (rires).

Mais il s’est ressaisi. Il a milité avec le cœur, avec nous. Au sein de l’entente et pendant la lutte pour l’indépendance, nous avons perdu le siège de Tchicaya Félix au bénéfice de l’Abbé Fulbert Youlou, devenu lui aussi membre actif du RDA. Gabriel Lisette a repris sa place au Tchad.

Voilà le RDA triomphant. Il fallait compléter cela par les élections territoriales. Là, c’était le raz-de-marée. Nous avons balayé tous les anciens dirigeants de parti nés des fraudes électorales. Nous avons repris la majorité.

Et c’est cette majorité qui a conduit à l’indépendance après le départ de Sékou Touré en 1958, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Bénin, le Gabon, le Tchad.

Nous n’avions aucune section en République centrafricaine avec Antoine Darlan. J’avais beaucoup d’amitié pour feu l’abbé Boganda. C’est sûr que volontairement, nous n’avons pas développé notre section de Centrafrique. Aujourd’hui, le fils de Darlan coopère étroitement avec le gouvernement centrafricain.

Rfi

 

 

 

 

 

 

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