Les Tares de la Société Civile Guinéenne : Entre Illusions et Renouveau Nécessaire

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La société civile guinéenne, autrefois porteuse d’espoir et de renouveau, s’est peu à peu transformée en une entité vacillante, gangrenée par les maux qu’elle était censée combattre. Ce qui aurait dû être le fer de lance de la justice sociale et de la gouvernance vertueuse s’est, dans bien des cas, mué en un théâtre d’ambitions personnelles, d’intérêts partisans et d’incohérences stratégiques.

Comment un mouvement censé incarner les aspirations populaires en est-il arrivé à perdre son âme ? Pourquoi la société civile guinéenne peine-t-elle à jouer pleinement son rôle dans un pays où les défis sociaux et économiques sont pourtant criants ? Il est temps d’un diagnostic sans complaisance et d’une réflexion profonde sur la refondation de cette structure essentielle à la démocratie et au développement du pays.

 

Une société civile sous perfusion politique et financière

 

La première grande tare de la société civile guinéenne réside dans son manque d’indépendance. Nombreux sont les acteurs qui, au lieu d’incarner la voix des sans-voix, se sont alignés sur des agendas politiques et financiers. Des organisations, censées être des contre-pouvoirs, se retrouvent prises au piège des alliances partisanes, sacrifiant leur crédibilité sur l’autel des intérêts personnels.

 

L’obsession des financements étrangers a, par ailleurs, créé une dépendance chronique. Plutôt que de bâtir des structures résilientes, nombreuses sont les ONG et associations qui se livrent à une course effrénée aux subventions, souvent au détriment de l’impact réel sur le terrain. Ainsi, au lieu de répondre aux besoins concrets des citoyens, elles adaptent leurs discours aux exigences des bailleurs de fonds, transformant la société civile en un simple exécutant de projets dictés depuis l’extérieur.

 

Une fragmentation et un opportunisme nuisibles

 

Un autre fléau qui gangrène la société civile guinéenne est son extrême fragmentation. Plutôt que d’unir leurs forces pour porter des causes d’intérêt général, de nombreux acteurs préfèrent se diviser, créant une prolifération anarchique d’organisations sans réelle stratégie d’ensemble. Cette division profite évidemment aux gouvernants et aux autres acteurs du système qui trouvent ainsi un terrain propice à la manipulation et à la neutralisation des initiatives citoyennes.

 

L’opportunisme est aussi devenu la marque de fabrique de certaines figures de la société civile, qui utilisent leur statut comme tremplin vers des postes politiques ou administratifs. Combien de militants, une fois intégrés dans les sphères du pouvoir, abandonnent leurs combats et se fondent dans le système qu’ils critiquaient jadis ? Cet état de fait a sapé la confiance du peuple dans ces structures qui, au lieu d’être perçues comme des alliées du progrès, apparaissent souvent comme des instruments d’arrivisme.

 

Une méconnaissance des réalités locales et un éloignement du peuple

 

Si la société civile veut être le véritable relai des aspirations populaires, elle doit comprendre et épouser les réalités du pays. Or, dans bien des cas, les organisations se contentent d’un activisme urbain, coupé des réalités paysannes et rurales. Les grands discours tenus dans les conférences feutrées de Conakry résonnent peu dans les marchés de Pita, les rizières de la Basse-Guinée ou les plaines de la Haute-Guinée.

 

Le décalage entre les préoccupations réelles des citoyens et les thématiques mises en avant par certaines organisations accentue leur inefficacité. Une société civile forte doit pouvoir s’implanter dans les territoires, travailler avec les communautés, accompagner les citoyens dans la recherche de solutions locales plutôt que de se limiter à des rapports et des séminaires sans suite.

 

Refonder la société civile : Un impératif vital

 

Face à ces tares profondes, il est urgent d’opérer une refonte de la société civile guinéenne pour lui redonner sa légitimité et son efficacité. Cela passe par plusieurs actions concrètes :

1. Rétablir l’indépendance et la crédibilité

• Refuser toute instrumentalisation politique et privilégier une posture neutre et constructive.

• Encourager des financements locaux, communautaires et participatifs pour éviter la dépendance exclusive aux bailleurs internationaux.

2. Unir les forces et structurer l’action

• Fédérer les initiatives autour de causes communes, plutôt que de multiplier les micro-organisations inefficaces.

• Mettre en place des plateformes de coordination pour éviter la dispersion des efforts.

3. Revenir aux préoccupations populaires

• Renforcer la présence sur le terrain et l’implication directe des citoyens dans les actions menées.

• Intégrer les réalités rurales et locales dans les stratégies et les programmes d’action.

4. Bâtir une société civile entrepreneuriale et durable

• Encourager l’auto-financement à travers des projets économiques et sociaux générateurs de revenus.

• Former les acteurs à l’entrepreneuriat social et à la gestion autonome des ressources pour garantir une indépendance durable.

 

Conclusion : Reprendre la place qui revient à la société civile

 

La société civile guinéenne doit cesser d’être un simple spectateur des dérives et des injustices. Elle doit redevenir un moteur de transformation sociale, un rempart contre les abus et un catalyseur du développement durable. Il est temps que les acteurs de la société civile prennent conscience de leur responsabilité historique et se réinventent pour mieux répondre aux attentes du peuple.

 

Le changement ne viendra ni des politiques ni des institutions étrangères. Il doit venir de la base, des citoyens eux-mêmes, et la société civile doit en être le porte-voix sincère et engagé. Faute de quoi, elle continuera à errer dans l’ombre de ses propres illusions, laissant le peuple seul face aux défis de son destin.

 

Mamadou Diouldé SOW 

Coordinateur Préfectoral de la Maison des Associations et ONG de Guinée MAOG-PITA