Minkailou Barry, journaliste :  » nul ne peut construire une veritable démocratie en s’attaquant à la presse « 

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La publication du dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF) a mis en lumière la détérioration préoccupante de la liberté de la presse en Guinée. Le recul de 25 places dans le classement mondial a suscité une onde de choc parmi les professionnels des médias locaux. Nous avons rencontré ce samedi 3 Mai, Minkailou Barry, journaliste indépendant, fondateur et Directeur de publication du journal en ligne leverificateur.net, à la Maison de la Presse, Conakry, lors de la déclaration du Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG) sur la situation sombre de la presse en Guinée. Nous avons recueilli son témoignage face à cette situation alarmante et aux sanctions récurrentes de la Haute Autorité de la Communication (HAC).

Guinee3.net : M. Minkailou Barry, vous avez une longue expérience dans la presse. Quel a été votre sentiment à la lecture du rapport de RSF plaçant la Guinée à la 103e place ?

 

 

Minkailou Barry : Un sentiment amer, teinté d’une profonde tristesse, mais malheureusement pas de surprise. Parce que les faits reprochés à notre cher pays sont authentiques, palpables et irréfutables. Nous, journalistes guinéens qui tentons de faire notre travail avec éthique et indépendance, vivons cette réalité au quotidien depuis un certain temps déjà. Ce rapport de RSF met des chiffres sur ce que nous ressentons : une pression grandissante, un espace qui se rétrécit dangereusement pour la libre information. Voir notre pays dégringoler ainsi est un signal d’alarme que les autorités doivent entendre. Car, nul ne peut construire une véritable démocratie en s’attaquant à la presse.

 

Guinee3.net : RSF pointe du doigt la dégradation des conditions d’exercice du journalisme sous le régime de transition. Partagez-vous cette analyse ?

Minkailou Barry : Absolument. Au début, il y avait une lueur d’espoir, des promesses de respect des libertés fondamentales. Mais force est de constater que ces engagements n’ont pas été tenus. Au contraire, nous assistons à une reprise en main progressive de l’information. Les organes critiques sont muselés, soit par des suspensions administratives ou des restrictions, soit par des pressions. La censure est devenue une réalité insidieuse. On nous demande de l’autocensure pour éviter les problèmes. Il y a une autre menace sourde qui plane au-dessus de la liberté de la presse. C’est une pratique nauséabonde qui gangrène le paysage médiatique. Il s’agit de l’implication des patrons de presse non journalistes dans le contenu éditorial. Ils censurent les professionnels de l’information. C’est pourquoi j’ai dit qu’il faut des garde-fous pour limiter l’immixtion des patrons de presse non journalistes dans la loi relative à la liberté de la presse dans notre pays. Un homme d’affaires patron de presse n’a aucune leçon à donner à un professionnel dans l’exercice de son travail. Trop, c’est trop. Des journalistes animateurs d’une émission politique télévisée viennent de démissionner parce que le PDG leur a dit qu’il prétendait discuter avec eux pour leur indiquer ce qu’il fallait dire sur le plateau chaque jour avant d’être en direct. Quelle foutaise !

 

Guinee3.net: L’année 2024 est qualifiée de « sombre » par RSF, évoquant des cas de censure et l’enlèvement d’un journaliste. Quel impact ces événements ont-ils sur la profession ?

 

Minkailou Barry : Un impact dévastateur qui crée un climat de peur et d’incertitude. Quand des médias sont fermés pour avoir simplement exercé leur droit d’informer, cela envoie un message glaçant à tous les autres. L’enlèvement d’un confrère, dont nous sommes toujours sans nouvelles, a semé une angoisse profonde. Qui sera le prochain ? On se demande si le prix à payer pour informer ne devient pas trop élevé. Cela pousse certains à l’autocensure, d’autres à quitter la profession, appauvrissant ainsi le débat public et signant le déclin de la démocratie.

Guinee3.net : Vous avez mentionné les pressions. Quelles formes prennent-elles concrètement ?

Minkailou Barry : Elles sont multiples. Cela peut aller de simples appels téléphoniques « amicaux » pour nous dissuader de traiter certains sujets, à des difficultés administratives en passant par des menaces plus ou moins voilées. Les communiqués d’État, vitaux pour la survie de certains médias, sont souvent distribués de manière sélective. Et puis il y a la menace constante des sanctions de la HAC.

Guinee3.net : Justement, parlons-en. Comment percevez-vous le rôle actuel de la Haute Autorité de la Communication ? RSF la décrit comme « de plus en plus alignée sur la ligne dure du pouvoir ».

Minkailou Barry : Malheureusement, ce constat de RSF reflète notre réalité. La HAC, qui devrait être un organe de régulation indépendant garantissant la liberté et le pluralisme des médias, semble de plus en plus se transformer en un instrument de contrôle au service du pouvoir et même des privés. Le cas le plus illustratif est la sanction infligée par la HAC au journaliste investigateur Toumany Camara et à son média suite à la plainte d’une dame venant du secteur privé. Les sanctions sont devenues fréquentes, souvent disproportionnées et basées sur des motifs flous ou contestables. Des suspensions de plusieurs mois sont infligées pour des articles ou des émissions jugés critiques. En septembre 2022, j’étais chroniqueur à la radio Nostalgie dans l’émission Africa 2015. La HAC nous a sanctionnés à un mois ainsi que l’émission. Vous vous imaginez. Nous n’avons jamais, je dis bien jamais, été entendus par la HAC pour que nous sachions de quoi on nous reproche. Quel abus d’autorité ! Même Dieu, qui nous a créés, avant qu’il n’envoie quelqu’un en enfer ou au paradis, explique d’abord avant d’être situé sur son sort. C’est ce qu’on appelle le JUGEMENT DERNIER. Ça, c’est Dieu omniprésent, omnipotent et infaillible. Alors nous, la HAC, composée d’hommes faillibles comme vous et moi, nous avait sanctionnés entre quatre murs sans confrontation. Simple émotion ! Ces sanctions ont des conséquences désastreuses sur la vie des médias et des journalistes. Comment un média peut-il survivre à une suspension d’un mois ou de trois mois ? Comment un journaliste peut-il nourrir sa famille s’il est privé de son outil de travail ?

Guinee3.net : Malgré ce contexte difficile, qu’est-ce qui motive les journalistes guinéens à continuer leur travail ?

Minkailou Barry : Un profond sens du devoir envers la population. Nous sommes conscients que beaucoup de Guinéens comptent sur nous pour être leurs yeux et leurs oreilles, pour leur donner une information fiable et diversifiée. Nous croyons toujours au rôle essentiel d’une presse libre dans une société démocratique. Il y a aussi une forme de résistance, une volonté de ne pas se laisser intimider. Nous savons que notre travail est important, même s’il est de plus en plus risqué.

Guinee3.net : Quel appel lancez-vous aux autorités guinéennes et à la communauté internationale face à cette situation ?

Minkailou Barry : Aux autorités guinéennes, nous demandons instamment de respecter leurs engagements en matière de liberté de la presse. Il est temps de cesser les pressions, de garantir l’indépendance de la HAC et de permettre aux journalistes de faire leur travail sans crainte de représailles. À la communauté internationale, nous demandons de ne pas fermer les yeux sur ce qui se passe en Guinée. Leur soutien et leur vigilance sont des boucliers importants pour nous. La liberté de la presse n’est pas un luxe, c’est un pilier de toute société libre et démocratique. Sa perte en Guinée serait une régression pour nous tous.

Guinee3.net : Merci pour ce témoignage poignant.

C’est nous qui vous remercions de donner une voix à la situation difficile que traverse la presse guinéenne. Nous espérons que ce cri d’alarme sera entendu.

 

Source: guinee3.net 

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